Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7992
Mon cher philosophe, mon cher ami, vous êtes donc dégoûté de Paris : car assurément on ne se porte pas mieux sur les bords du Tibre que sur ceux de la Seine. M. de Fontenelle, à qui vous tenez de fort près, a vécu cent ans, sans en avoir eu l’obligation à Rome ; mais enfin ognuno faccia secundo il suo cervello.
Je souhaite que Denys[1] fasse ce que vous savez ; mais je doute que le viatique soit assez fort pour vous procurer toutes les commodités et tous les agréments nécessaires pour un tel voyage ; et si vous tombez malade en chemin, que deviendrez-vous ?
Ma philosophie est sensible ; je m’intéresse tendrement à vous ; je suis bien sûr que vous ne ferez rien sans avoir pris les mesures les plus justes.
Un de mes amis[2], qui n’est pas Denys, a fait imprimer une réponse fort honnête au Système de la Nature ; je compte vous l’envoyer par la première poste. Il ne faudra vraiment pas l’envoyer à Denys : il n’en serait pas content, non-seulement parce qu’il en a fait une qui est sans doute meilleure, mais par une autre raison.
On me mande que le ministère a donné quatre à cinq mille livres de rente à des gens de lettres sur l’évêché[3] de Fréron cet homme, qui ne devrait être qu’évêque des champs, a donc vingt-quatre mille livres de rente pour dire des sottises !
Sæpe mihi dubiam traxit sententia mentem,
Curarent superi terras, an nullus inesset
Rector, et incerto fluerent mortalia casu.
Je vous embrasse du fond de mon cœur.