Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7969

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 149).
7969. — À MADAME NECKER[1].
À Ferney, 23 juillet.

Madame, c’est à vous que je dois tout ; c’est vous qui avez honoré la fin de ma vie, et qui m’avez consolé de toutes les tribulations attachées à la littérature, que j’ai éprouvées pendant cinquante ans. Mon cœur est plein, et mon seul chagrin est de ne pas vous l’ouvrir. Je dois au moins vous consacrer le peu de jours qui me restent, et sur lesquels vous avez répandu des faveurs que je ne mérite pas.

Je suis bien fâché que vous n’ayez pas acheté une terre dans nos cantons ; vous ne saviez pas alors ce qui était réservé au petit pays de Gex. Il va devenir, grâce à M. de Choiseul, un des plus florissants de l’Europe, et toutes les terres y doubleront de prix dans très-peu d’années. Mais la fortune arrange toutes choses de façon que les hommes n’y entendent rien, et ne peuvent rien prévoir.

M. Dupuits, mon gendre, a cru devoir prendre la liberté de s’adresser à M. Necker pour un petit arrangement, attendu que M. Necker est aussi bienfaisant que vous. Il me permettra de joindre ici ma reconnaissance de la peine qu’il voudra bien prendre pour celui qui a ranimé le sang de Corneille.

Pour vous, madame, je vous en dois bien davantage. Soyez bien sûre que mon cœur s’acquitte de sa dette, et qu’il vous appartiendra tant qu’il battra dans la très-sèche poitrine de votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Le vieux malade de Ferney.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.