Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7937

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 120-121).
7937. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
25 juin.

Nous remercions bien tendrement Mme d’Argental de nous avoir écrit et de nous avoir rassurés ; elle a rendu un compte bien net de la mêlée : peu d’écrivains font des récits de bataille plus précis et plus intéressants.

Nous envoyons, pour amuser les deux convalescents, un petit Lantin[1] bien corrigé. Le paquet serait trop gros si on y joignait le Dépositaire, qui est prêt depuis longtemps. Le neveu de l’abbé de Châteauneuf, auteur de cette pièce, croit avoir fait tout ce qu’on exigeait de lui. Il n’y a que le mot de dévot qu’il faudra peut-être changer dans un endroit où il est nécessaire, car j’ai ouï dire que les Welches étaient devenus bien plus difficiles que Louis XIV ne l’était du temps du Tartuffe.

Nous envoyons à nos deux anges le panégyrique de Fréron[2] ; il n’est pas fait par un homme bien éloquent ; mais on dit que tout est dans la plus exacte vérité, et la vérité vaut mieux que l’éloquence.

Thieriot nous envoya ce chef-d’œuvre il y a environ huit ans. Je crois qu’il serait expédient que M. d’Argental eût la bonté de prier Thieriot de passer chez lui. Thieriot ne pourrait lui refuser de nommer l’auteur. Il faut enfin qu’on connaisse les méchants, et qu’on rougisse de protéger un pareil faquin. C’est par cette raison qu’on a joint au panégyrique un extrait fidèle de la lettre du sieur Royou, beau-frère du scélérat[3].

Nous ne perdons point de vue Mlle Daudet[4] ; mais nous sommes actuellement plongés dans les embarras d’un établissement très-considérable : s’il réussit, nous pourrons l’y intéresser. Nous pouvons aussi nous y ruiner, si nous ne sommes pas entièrement favorisés par le gouvernement. C’est une affaire qui peut aisément produire dix mille écus par an, mais qui peut aussi ruiner de fond en comble l’entrepreneur, un peu amoureux des choses extraordinaires. Il a tout fait à ses dépens, sans se réserver un denier de profit pour lui. C’en est un peu trop à la fois qu’une Encyclopédie, un Dépositaire, une Sophonisbe, une manufacture, et une construction de maisons sur deux cents pieds de face.

Pigalle a fait un chef-d’œuvre de squelette, et le squelette se couvre des ailes de ses deux anges.

  1. C’est sous le nom de Lantin que Voltaire donnait sa Sophonisbe ; voyez tome VII, page 35.
  2. Anecdotes sur Fréron, tome XXIV, page 181.
  3. Tome XXIV, page 189.
  4. Fille de Mlle Lecouvreur ; voyez tome XXXVIII, page 113.