Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7879

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 71-72).
7879. — À M. LE COMTE DE SCHOMBERG.
8 mai.

Frère François, monsieur, est pénétré de la bonté que vous avez de mettre dans le tronc pour faire placer son image dans une niche ; il vous supplie de ne pas oublier l’auréole.

Comme il sait qu’on ne canonise les gens qu’après leur mort, il se dispose à cette cérémonie. Une fluxion très-violente sur la poitrine le tient au lit depuis un mois. Il tombe encore de la neige au 8 de mai, et il n’y a pas un arbre qui ait des feuilles. Si j’étais moins vieux et plus alerte, je crois que j’irais passer la fin de mes jours en Grèce, dans le pays de mes maîtres Homère, Sophocle, Euripide et Hérodote. Je me flatte qu’à présent Catherine II est maîtresse de ce pays-là. Les Lacédémoniens et les Athéniens reprennent courage sous ses ordres. Nous touchons au moment d’une grande révolution dont l’Opéra Comique de Paris ne se doute pas. Saint Nicolas va chasser Mahomet de l’Europe ; je dois en bénir Dieu en qualité de capucin.

On dit[1] que frère Ganganelli a supprimé la belle bulle In cœna Domini, le dernier jeudi de l’absoute ; cela est d’un homme sage.

Si vous voyez mon cher commandant, je vous prie, monsieur, de vouloir bien entretenir la bienveillance qu’il veut avoir pour moi, et de me conserver la vôtre : elle fait ma consolation dans le triste état où je suis.

Agréez mon tendre respect et ma bénédiction.

Frère François, capucin indigne.

  1. Cela était vrai ; voyez tome XVIII, page 43.