Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7850

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 42-43).
7850. — À M. LE MARQUIS DE FLORIAN.
Le 7 avril.

Mon cher grand écuyer, il faut que frère François mette tout au pied de son crucifix. Les livres qui font ma consolation ne me viennent point, il faut que l’abbé Terray ait arrêté les guimbardes avec les rescriptions. Il m’a pris tout mon bien de patrimoine, et fort au delà. Non-seulement il me traite en capucin, mais il me traite en évêque. Il veut que je meure banqueroutier comme la plupart de nosseigneurs. Le bon Dieu soit loué ! La fin de la vie est triste, le milieu n’en vaut rien, et le commencement est ridicule.

M. Delaleu a trop d’affaires pour m’avoir jamais entendu. Je lui ai toujours dit que le plaisir que me faisait M. de La Borde était de m’épargner sept à huit pour cent, pour le change et pour la conversion de l’argent de Genève en argent de France.

Au reste, je trouve très-bon qu’on prenne les rescriptions des financiers qui ont gagné beaucoup en pillant l’État ; mais je trouve très-mauvais qu’on prenne le patrimoine des particuliers, et qu’on ruine des familles innocentes. Vous vous en sentirez comme moi, messieurs ; je vous exhorte à entrer, à mon exemple, dans l’ordre des capucins.

Je remercie bien le conseiller du parlement[1] de la bonté qu’il a pour l’affaire de mon benêt de Franc-Comtois. Je le prie de vouloir bien me mander combien cela aura coûté de frais. J’enverrai sur-le-champ une lettre de change, en dépit de M. l’abbé Terray.

Si j’avais des rescriptions sur le Grand Turc, l’impératrice de Russie me les ferait bien payer. Je crois vous avoir dit[2] qu’elle m’a mandé qu’elle ne manquerait ni d’hommes ni d’argent ; tout le monde n’en peut pas dire autant.

Genève se dépeuple, mais le contrôleur général de France leur paye toujours quatre millions cinq cent mille livres de rente. Pourquoi ne pas prendre cet argent, au lieu du nôtre ?

Allez au plus vite jouir des douceurs de la campagne avec Mme de Florian. Nous sommes enchantés d’apprendre que sa santé s’est rétablie.

Nous vous embrassons, vous et elle, et le grand conseil et le parlement.

Frère François.

  1. D’Hornoy, petit-neveu de Voltaire, et fils de la première femme de Florian.
  2. Il n’en a pas encore parlé à Florian.