Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7808

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 4-5).
7808. — À MADAME LA MARQUISE DE FLORIAN.
Le 3 mars.

Je vous prie, ma chère nièce, de me faire un très-grand plaisir. J’implore surtout l’assistance de monsieur le grand écuyer de Cyrus, qui est un homme ingambe et serviable.

J’ai le plus grand et le plus pressant besoin des livres dont vous trouverez la note sur un petit billet. Je ne sais où ils se vendent. M. de Florian, en allant à la Comédie, peut aisément les acheter, et donner ordre qu’on me les envoie par les guimbardes de Lyon.

Croiriez-vous qu’un docteur de Sorbonne[1], ami et parent de l’abbé Morellet, professeur d’histoire à Toulouse, enseigne publiquement mon Histoire générale ; que tout le parlement vient l’écouter ; qu’il l’a fait imprimer pour l’usage des colléges, en y retranchant seulement quelques petites libertés philosophiques ; qu’un prêtre fanatique l’a brûlée devant sa porte, pour faire amende honorable à la sainte Église ; que le premier président l’a fait prendre par deux huissiers, et l’a menacé du cachot en pleine audience ; que la fille du premier président m’a écrit d’assez jolis vers[2] ; que Sirven va demander la permission de prendre ses premiers juges à partie ; que la philosophie expie, au bout de huit ans, l’assassinat de Calas ?

Allons, courage, monsieur le Turc[3], monsieur du parlement de Paris[4], mettez la philosophie, l’humanité, à la mode. Que fera-t-on pour Martin ?

J’ai obtenu deux mille écus des créanciers de Durey, par les bons offices de M. de Beaumont. J’ai marié Mlle Nollet, qui l’avait suivi dans tous ses malheurs depuis douze ans, et que l’abbé Nollet son oncle reniait comme un beau diable. Durey, dans le fond, n’est pas à beaucoup près aussi coupable qu’on le dit ; c’est un bon homme très-serviable, très-faible, qui a fait de très-mauvais marchés, et dont le plus grand crime est d’avoir demandé par écrit à sa femme, en grâce, de le faire cocu. Je vous jure, d’ailleurs, qu’il n’a jamais empoisonné personne.

Avez-vous lu le dernier mémoire d’Élie ? n’est-il pas bien fort, bien convaincant, bien utile ? La Harpe vous a-t-il récité sa Religieuse ? avez-vous pleuré ? avez-vous vu l’opéra-comique[5] de Marmontel ? comment vous portez-vous tous tant que vous êtes ? J’ai une enflure à la gorge qui n’est point du tout plaisante au milieu de quarante ou cinquante lieues de neige. Sur ce, je vous donne à tous ma bénédiction.

Frère François, capucin indigne.

  1. Voyez la lettre qui précède.
  2. Voyez lettre 7728.
  3. L’abbé Mignot. (K.)
  4. M. d’Hornoy. (K.)
  5. Sylvain, représenté le 19 février 1770.