Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7763

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 540-541).
7763. — À M. DE LA HARPE.
26 janvier.

Dieu et les hommes[1] vous en sauront gré, mon cher confrère, d’avoir mis en drame l’aventure de cette pauvre novice[2] qui, en se mettant une corde au cou, apprit aux pères et aux mères à ne jamais forcer leurs filles à prendre un malheureux voile. Cela est digne de l’auteur de la Réponse à ce fou mélancolique de Rancé[3].

Savez-vous bien que cette réponse est un des meilleurs ouvrages que vous ayez jamais faits ? On l’imprime actuellement dans un recueil qu’on fait à Lausanne. Savez-vous bien ce que vous devriez faire, si vous avez quelque amitié pour moi ? me faire envoyer votre École des Pères et Mères, acte par acte : nous la lirons, Mme Denis et moi. Nous méritons tous deux de vous lire.

Je suis bien étonné que Panckoucke ne vous ait rien dit au sujet de la partie littéraire du nouveau Dictionnaire encyclopédique : mais il était engagé avec M. Marmontel, qui fera tout ce qui regarde la littérature. Peut-être donnera-t-on dans quelque temps un petit supplément[4] ; mais vous savez que les libraires mes voisins ne sont pas gens à encourager la jeunesse, comme on fait à Paris. Je craindrais fort que vous ne perdissiez votre temps ; et je vous conseille de l’employer à des choses qui vous soient plus utiles. Je voudrais que chacune de vos lignes vous fût payée comme aux Robertson[5].

J’ai lu un petit ouvrage de M. de Falbaire[6] où il fait voir que, depuis les premiers commis des finances jusqu’au portier de la Comédie, tout le monde est bien payé, hors les auteurs.

Je viens de recevoir le Mercure. Je vous suis bien obligé d’avoir séparé ma cause de celle de mon prédécesseur Garnier[7].

Je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Sous le titre de Dieu et les Hommes, Voltaire avait publié depuis peu un opuscule ; voyez tome XVIII, page 129.
  2. C’est le sujet du drame de La Harpe intitulé Mélanie.
  3. La Réponse d’un solitaire de la Trappe à la lettre de l’abbé de Rancé est imprimée dans le tome II des Choses utiles et agréables, avec une préface de Voltaire qui est tome XXVI, page 567.
  4. Les Questions sur l’Encyclopédie ; voyez la note 2, page 529.
  5. auteur de l’Histoire de Charles-Quint, à qui est adressée la lettre 7800.
  6. l’Avis aux gens de lettres ; voyez la note 3, page 529.
  7. Dans le tome II de janvier 1770 du Mercure, La Harpe avair donné un article sur la nouvelle édition des Œuvres de Sébastien Garnier ou la Henriade et la Loyssée de Sébastien Garnier, 1770. in-8°. L’article se terminait ainsi : « S. Garnier serait probablement fort étonné de se voir réimprimé ; c’est un honneur qu’il doit à la Henriade de M. de Voltaire, qui, peut-être, n’a jamais lu la sienne, ou ignorait même qu’elle existât. » Voyez tome XLIII, page 70.