Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7724

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 505-507).
7724. — À M. PANCKOUCKE.
6 décembre.

Vous savez, monsieur, que je vous regarde comme un homme de lettres et comme mon ami ; c’est à ces titres que je vous écris.

On a besoin sans doute d’un supplément à l’Encyclopédie ; on me l’a proposé ; j’y ai travaillé avec ardeur ; j’ai fait servir tous les articles que j’avais déjà insérés dans le grand dictionnaire ; je les ai étendus et fortifiés autant qu’il était en moi ; j’ai actuellement plus de cent articles de prêts[1]. Je les crois sages ; mais s’ils paraissent un peu hardis, sans être téméraires, on pourrait trouver des censeurs qui feraient de mauvaises difficultés, et qui ôteraient tout le piquant pour y mettre l’insipide. Je vous réponds bien que tous ceux qui sont a la tête de la librairie ne mettront aucun obstacle à l’introduction de cet ouvrage en France ; et je vous réponds d’ailleurs qu’il sera vendu dans l’Europe, parce que, tout sage qu’il est, il pourra amuser les oisifs de Moscou aussi bien que les oisifs de Berlin. Puisque vous avez été assez hardi pour vous charger de mes sottises in-quarto[2], il faut que cette sottise-ci soit de la même parure.

Il ne serait pas mal, à mon avis, de faire un petit programme par lequel on avertirait Paris, Moscou, Madrid, Lisbonne et Quimper-Corentin, qu’une société de gens de lettres, tous Parisiens et point Suisses, va, pour prévenir les jaloux, donner un supplément à l’Encyclopédie. On pourrait même, dans ce programme, donner quelque échantillon, comme par exemple l’article Femme[3], afin d’amorcer vos chalands.

Au reste, je pense qu’il faut se presser, parce qu’il se pourrait bien faire qu’étant âgé de soixante-seize ans je fusse placé incessamment dans un cimetière, à côté de mon ivrogne de curé, qui prétendait m’enterrer, et qui a été tout étonné que je l’enterrasse.

Encore un mot, monsieur ; avant que vous vous fussiez lancé dans les grandes entreprises, vous aviez, ce semble, ouvert une souscription pour les malsemaines de Martin Fréron. Je me suis aperçu, à mon article Critique[4], que je dois dévouer à l’horreur de la postérité les gueux qui, pour de l’argent, ont voulu décrier l’Encyclopédie et tous les bons ouvrages de ce siècle, et que c’est une chose aussi amusante qu’utile de rassembler les principales impertinences de tous ces polissons. Envoyez-moi tout ce que vous avez, jusqu’à ce jour, des imbéciles méchancetés de Martin, afin que je le fasse pendre avec les cordes qu’il a filées.

Je vous embrasse de tout mon cœur, sans cérémonie, et je vous prie de vouloir bien faire mes compliments à madame votre femme, dont j’ai toujours l’idée dans la tête depuis que je l’ai vue a Ferney.

  1. Ils ont sans doute été imprimés dans les Questions sur l’Encyclopédie.
  2. L’édition in-4° avait été commencée par Cramer ; voyez page 75. Les Questions sur l’Encyclopédie en forment les tomes XXI à XXIV, et sont de 1774.
  3. Voyez tome XIX, page 95.
  4. Tome XVIII, page 284.