Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7715

7715. — DE CATHERINE II[1],
impératrice de russie.
À Saint-Pétersbourg, 13-24 novembre 1769.

Monsieur, nous sommes si loin d’être chassés de la Moldavie et de Chotin, comme la Gazette de France l’a annoncé, qu’il n’y a que quelques jours que j’ai reçu la nouvelle de la prise de Galatzo, place fortifiée sur le Danube, où un sérasquier et un bacha ont été tués, au dire des prisonniers. Mais ce qu’il y a de bien vérifié, c’est qu’entre ces derniers se trouve le prince de Moldavie Maurocordato. Trois jours après, nos troupes légères amenèrent de Boucharest, capitale de la Valachie, le prince ou hospodar de celle-ci, Grégoire Gika, à Yassi, au lieutenant-général Stoffeln, qui y commande. Ces deux princes passeront leur carnaval à Pétersbourg. Boucharest est occupé par nos troupes. Il ne reste plus guère de postes aux Turcs dans la Moldavie de ce côté-ci du Danube.

Je vous mande, monsieur, tous ces détails afin que vous voyiez, et puissiez juger de l’état des choses, qui assurément n’ont point un aspect affligeant pour tous ceux qui, comme vous, veulent bien s’intéresser à mes affaires.

Je crois ma flotte à Gibraltar, si elle n’a point encore franchi ce détroit : vous saurez à présent plus tôt de ses nouvelles que moi. Moustapha est aussi humain que spirituel et victorieux. Il doit avoir déclaré qu’en cas de révolte il exterminerait sa race. Voilà une résolution qui fait frémir. Que Dieu le conserve ! il conduit bien ses affaires. Ses amitiés, ses liaisons, tout y contribue : son gouvernement est si aimé de ses sujets que les habitants de Galatzo se joignirent, au moment même de la prise, à nos troupes pour courir sur le misérable reste des Turcs, qui fuyaient à toutes jambes.

Voilà, monsieur, ce que j’avais à vous dire en réponse à votre lettre, remplie d’amitiés, du 28 novembre. Je vous prie de me continuer vos sentiments, dont je fais un si grand cas, et d’être assuré des miens.

Catherine.

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances relatifs à l’histoire de l’empire de Russie, etc., tome X, page 397.