Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7625

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 409).
7625. — À M. THIERIOT.
Le 9 auguste.

Grand merci de ce que vous préférez le mois d’auguste au barbare mois d’août ; vous n’êtes pas Welche.

Je ne vous démentirai pas sur les Guèbres, j’en connais l’auteur ; c’est un jeune homme qu’il faut encourager. Il paraît avoir de fort bons sentiments sur la tolérance. Les honnêtes gens doivent rembarrer avec vigueur les méchants allégoristes qui trouvent partout des allusions odieuses : ces gens-là ne sont bons qu’à commenter l’Apocalypse. Les Guèbres n’ont pas le moindre rapport avec notre clergé, qui est assurément très-humain, et qui de plus est dans l’heureuse impuissance de nuire.

Je ne crois pas que la comédie du Dépositaire que vous m’avez envoyée soit de la force des Guèbres : une comédie ne peut jamais remuer le cœur comme une tragédie ; chaque chose doit être à son rang.

Je ne crois pas que Lacombe vous donne beaucoup de votre comédie. Une pièce non jouée, et qui probablement ne le sera point, est toujours très-mal vendue ; en tout cas, mon ancien ami, donnez-la à l’enchère.

Je ne sais rien de si mal écrit, de si mauvais, de si plat, de si faux, que les derniers chapitres de l’Histoire du Parlement. Je ne conçois pas comment un livre, dont le commencement est si sage, peut finir si ridiculement ; les derniers chapitres ne sont pas même français. Vous me ferez un plaisir extrême de m’envoyer ces deux volumes de Mélanges historiques[1] par les guimbardes de Lyon.

Je vous plains de souffrir comme moi ; mais avouez qu’il est plaisant que j’aie attrapé ma soixante-seizième année en ayant tous les jours la colique.

Mon ami, nous sommes des roseaux qui avons vu tomber bien des chênes[2].

  1. Voyez la note, page 370.
  2. Voyez La Fontaine, livre I, fable fable xxxii, le Chêne et le Roseau.