Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7585

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 369-370).
7585. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
7 juillet.

Rien n’est plus sûr, mon cher ange, que les lettres de Lyon ; vous pouvez d’ailleurs les adresser à M. La Vergne, banquier, ou à M. Scherer, aussi banquier, tantôt l’un, tantôt l’autre. Cela est inviolable et inviolé, et je vous en réponds sur ma vieille petite tête.

Permettez-moi de réfuter quelques petits paragraphes de votre exhortation du 29 de juin, en me soumettant à beaucoup de points. Les Sermons du Père Massillon sont un des plus agréables ouvrages que nous ayons dans notre langue. J’aime à me faire lire à table ; les anciens en usaient ainsi, et je suis très-ancien. Je suis d’ailleurs un adorateur très-zélé de la Divinité ; j’ai toujours été opposé à l’athéisme ; j’aime les livres qui exhortent a la vertu, depuis Confucius jusqu’à Massillon ; et sur cela on n’a rien à me dire qu’à m’imiter. Si tous les conseils des rois de l’Europe étaient assemblés pour me juger sur cet article, je leur tiendrais le même langage, et je leur conseillerais la lecture a dîner, parce qu’il en reste toujours quelque chose ; et qu’il ne reste rien du tout des propos frivoles qu’on tient dans ces repas, tant a Rome qu’à Paris.

Quant à l’Histoire dont vous me parlez, mon cher ange, il est impossible que j’en sois l’auteur ; elle ne peut être que d’un homme qui a fouillé deux ans de suite dans des archives poudreuses. J’ai écrit sur cette petite calomnie, qui est environ la trois centième, une lettre à M. Marin[1], pour être mise dans le Mercure, qui commence à prendre beaucoup de faveur. Je sais, à n’en pouvoir douter, que cet ouvrage n’a pas été imprimé à Genève, mais à Amsterdam, et qu’il a été envoyé de Paris. Je sais encore qu’on en fait deux éditions nouvelles avec additions et corrections, car je suis fort au fait de la librairie étrangère

Il est bon, mon cher ange, que l’on fasse imprimer, sans délai, jour et nuit, sans perdre un moment, ces Guèbres, sur lesquels je pense précisément comme vous. On me les a dédiés dans le pays étranger, et on me loue, dans l’épître, d’aimer passionnément la tolérance, et de respecter beaucoup la religion ; cela fait toujours plaisir.

On a fait deux nouvelles éditions du Siècle de Louis XIV et de Louis XV. On m’a envoyé d’Angleterre une belle médaille d’or de l’amiral Anson, en signe de reconnaissance du bien que j’ai dit de ce grand homme[2], avec la vérité dont je suis assez partisan.

On dit que nous allons voir une petite histoire de la guerre de Corse[3]. Je suis bien fâché que M. de Chauvelin n’ait pas été à la place de M. de Vaux. Vous ne saurez croire quelle considération le ministère de France a chez l’étranger, ou plutôt vous le savez mieux que moi. Faire un pape, gouverner Rome, prendre un royaume en vingt jours, ce ne sont pas là des bagatelles.

Tout languissant et tout mourant que je suis, je pourrais bien ajouter un chapitre[4] au Siècle de Louis XV.

Je prends la plume, mon cher ange, pour vous dire que j’ai su que vous cherchiez quelque argent. Je n’ai actuellement que dix mille francs dont je puisse disposer à Paris : les voilà. Agréez le denier de la veuve. Je suis très-affligé du dérangement de la santé de Mme d’Argental. Dites-moi de ses nouvelles, je vous en conjure.

N’admirez-vous pas comme j’écris lisiblement quand j’ai une bonne plume ?

À l’ombre de vos ailes, mes anges.

  1. C’est la lettre 7583.
  2. Voyez tome XV page 312.
  3. Je pense que Voltaire veut parler de l’ouvrage de Boswell, dont il parut deux traductions en 1769 : l’une intitulée Relation de l’île de Corse, un volume in-8° ; l’autre, État de la Corse, deux volumes in-12. (B.)
  4. Le chapitre xl (De la Corse) parut, pour la première fois, en 1769, dans l’édition in-4° du Précis du Siècle de Louis XV ; voyez tome XV, page 406.