Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7518

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 298-299).
7518. — À M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.
À Ferney, 29 mars[1].

Je ne sais pas, monsieur, pourquoi vous dites à M. le duc de Choiseul qu’il marche dans la carrière des Colbert[2] ; je ne le soupçonne point du tout être homme de finances ; je crois qu’il ne marche que dans la carrière des Choiseuls ; il est plus fait pour jeter son argent par la fenêtre que pour en lever sur les peuples ; il aura des années brillantes et bien disciplinées, les payera qui pourra. Mars n’aurait pas trouvé bon qu’on l’appelât Plutus.

Cependant vos vers sont jolis. Je vous en remercie de tout mon cœur, et je vois avec grand plaisir que vous êtes partisan du bon goût en aimant Lulli et Rameau. Je suis un peu sourd, je ne puis guère m’intéresser à la musique. Je suis aussi fort en train d’être parfaitement aveugle, mais je puis encore lire les ouvrages d’esprit. Le plaisir l’emporte sur la peine. C’est un sentiment que vous m’avez fait éprouver par la petite brochure[3] que vous avez eu la bonté de m’envoyer.

Agréez, monsieur, mes très-sincères remerciements, et daignez me mettre aux pieds de monseigneur le prince de Condé. V.

  1. Cette lettre a été imprimée sous la date du 29 janvier 1768 dans le Journal de Lyon, 1784, page 236 ; et dans le tome II du Supplément au recueil des lettres de M. de Voltaire, publié par Auger, en 1808. Mais dans le Nouveau Recueil de gaieté et de philosophie, publié par La Touraille en 1785, deux volumes in-12, on trouve à la page 137 du tome Ier une Épître à M. le duc de Choiseul, datée du 1er septembre 1768, et commençant ainsi :

    Vous qui marchez dans la carrière
    Des Périclès et des Sulli, etc.

    La lettre où Voltaire rapelle cette épître ne peut donc être de janvier 1768. (B.)

  2. Ce n’est pas de Colbert, mais de Périclès et Sully que parle La Touraille ; voyez la note précédente.
  3. Ce doit être la Lettre à M. de Voltaire sur les opéras philosophi-comiques, où l’on trouve la critique de Lucile, comédie en un acte et en vers, mêlée d’ariettes, 1769, in-12 de 68 pages. Mais cette brochure ne dut guère paraître qu’en mars ; c’est donc à ce mois qu’il fallait placer la lettre de Voltaire. (B).