Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7468
Est celle qui perdit le pauvre Moustapha
Quand notre brave impératrice
De ses musulmans triompha ;
Et ce beau portrait que voilà,
C’est celui de la bienfaitrice
Du genre humain, qu’elle éclaira.
Voilà ce que j’ai dit, madame, en voyant le cafetan dont Votre Majesté impériale m’a honoré, par les mains de M. le prince Kosloftsky, capigi-bachi de vos janissaires, et surtout cette boîte tournée de vos belles et augustes mains, et ornée de votre portrait.
Ne peut borner ses sens à le considérer ;
Il ose y porter une bouche
Qu’il n’ouvre désormais que pour vous admirer.
Mais quand on a su que la boîte était l’ouvrage de vos propres mains, ceux qui étaient dans ma chambre ont dit avec moi :
Pour lancer les traits des Amours,
Ont préparé déjà ces flèches enflammées,
Ces tonnerres d’airain dont vos fières armées
Au monarque sarmate assurent des secours ;
Et la Gloire a crié, de la tour byzantine,
Aux peuples enchantés que votre nom soumet :
Victoire à Catherine !
Nasarde à Mahomet !
Qu’est devenu le temps où l’empereur d’Allemagne aurait, dans les mêmes circonstances, envoyé des armées à Belgrade, et où les Vénitiens auraient couvert de vaisseaux les mers du Péloponèse ? Eh bien ! madame, vous triompherez seule. Montrez-vous seulement à votre armée vers Kiovie, ou plus loin, et je vous réponds qu’il n’y a pas un de vos soldats qui ne soit un héros invincible. Que Moustapha se montre aux siens, il n’en fera que de gros cochons comme lui.
Quelle fierté imbécile dans cette tête coiffée d’un turban à aigrette ! Tous les rois de l’Europe ne devraient-ils pas venger le droit des gens, que la Porte ottomane viole tous les jours avec un orgueil si grossier ?
Ce n’est pas assez de faire une guerre heureuse contre ces barbares pour la terminer par une paix telle quelle ; ce n’est pas assez de les humilier, il faudrait les reléguer pour jamais en Asie[1].
- ↑ M. de Voltaire avait envoyé à l’impératrice, dans cette même lettre, un mémoire d’un officier français qui proposait de renouveler dans la guerre des Turcs l’usage des chars de guerre, absolument abandonné par les anciens depuis l’époque de la guerre médique. (K.)