Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7458

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 235-236).
7458. — À M. LE COMTE DE WARGEMONT[1].
16 janvier.

Le solitaire, monsieur, à qui vous daignez vous expliquer avec confiance, le mérite du moins par son extrême attachement pour vous. Il croit, comme vous, qu’on casse des cruches de terre avec des louis d’or, et qu’après s’être emparé d’un pays très-misérable, il en coûtera plus peut-être pour le conserver que pour l’avoir conquis. Je ne sais s’il n’eût pas mieux valu s’en déclarer simplement protecteur avec un tribut ; mais ceux qui gouvernent ont des lumières que les particuliers ne peuvent avoir. Il se peut que la Corse devienne nécessaire dans les dissensions qui surviendront en Italie. Cette guerre exerce le soldat et l’accoutume à manœuvrer dans un pays de montagnes.

Je sais bien que l’Europe n’approuve pas cette guerre ; mais les ministres peuvent voir ce que le reste du monde ne voit pas. D’ailleurs cette entreprise étant une fois commencée, on ne pourrait guère y renoncer sans honte.

Si vous voyez M. de Chauvelin, je vous supplie, monsieur, d’ajouter à toutes vos bontés celle de lui dire combien je m’intéresse à lui. Je lui suis attaché depuis longtemps. La nation corse ne méritait guère qu’on lui envoyât l’homme le plus aimable de France et le plus conciliant.

Je vous tiens très-heureux, monsieur, de pouvoir passer votre hiver auprès d’un homme aussi généralement aimé et estimé que M. le prince de Soubise. Il me semble que le public rend justice à la noblesse de son âme, à sa générosité, à sa bonté, à sa valeur et à la douceur de ses mœurs. Il m’a fait l’honneur de m’écrire une lettre à laquelle j’ai été extrêmement sensible ; cela console ma vieillesse, qui devient bien infirme. Je mourrai en le respectant. Je vous en dis autant, monsieur, et du fond de mon cœur.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.