Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7347
Si madame papillon-philosophe garde les secrets aussi bien que les paquets, je me confesserai à elle à Pâques. Non, madame, mon cœur n’a pas renoncé au genre humain, dont vous êtes une très-aimable partie. Je suis vieux, malade et dégoûtant, mais je ne suis point du tout dégoûté ; et vous seule, madame, me réconcilierez avec le monde.
Voici le secret dont il s’agit. Mme Denis m’a mandé qu’un jeune homme a tourné en opéra-comique[1] un certain conte intitulé l’Éducation d’un Prince. Je n’ai point vu cette facétie, mais elle prétend qu’elle prête beaucoup à la musique. J’ai songé alors à votre protégé, et j’ai cru que je vous ferais ma cour en priant Mme Denis d’avoir l’honneur de vous en parler. Tout ce que je crains, c’est qu’elle ne se soit déjà engagée. Ne connaissant ni la pièce ni les talents des musiciens, j’ai saisi seulement cette occasion pour vous renouveler mes hommages. L’état triste où je suis ne me permet guère de m’amuser d’un opéra-comique. Il y a loin entre la gaieté et moi ; mais mon respectueux attachement pour vous, madame, ne vieillira jamais, et rien ne contribuera plus à me faire supporter ma très-languissante vie que la continuation de vos bontés.
J’ignore en quel endroit M. le chevalier de Pezay prend actuellement le bain avec Zélis[2]. S’il s’est toujours baigné depuis qu’il vous remit cette affaire entre les mains, il doit être fort affaibli.
Vous tirez toujours des perdrix, sans doute, et vous n’êtes pas une personne à tirer votre poudre aux moineaux. Rassemblez le plus de plaisir que vous pourrez, et soyez heureuse autant que vous méritez de l’être.
Agréez, madame, mon tendre respect.