Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7120

Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 476-477).
7120. — À M. HENNIN.
À Ferney, 4 janvier.

Lorsque vous prîtes le sieur Galien, monsieur, l’humanité, et l’espérance qu’il se corrigerait sous vos yeux, m’engagèrent à ensevelir dans le silence tous les sujets que je pouvais avoir de me plaindre de lui.

M. le maréchal de Richelieu, qui l’avait fait enfermer à Saint-Lazare pendant une année, me l’envoya, et me pria de veiller sur sa conduite. Toute ma maison sait quelles attentions j’ai eues pour lui. Monsieur le maréchal me recommanda expressément de le faire manger avec les principaux domestiques. J’ai rempli toutes les vues de monsieur le maréchal, autant qu’il a été en moi, pendant une année entière. J’ai dissimulé tous ses torts.

Depuis qu’il est chez vous, il a écrit à M. le maréchal de Richelieu des lettres dont je ne dois pas assurément être content, et que monsieur le maréchal m’a renvoyées.

Je me flatte que vous approuverez le silence que j’ai gardé si longtemps avec vous, et l’aveu que je suis obligé de vous faire aujourd’hui.

Je suis bien sûr, au reste, que vous n’avez pas admis ce jeune homme dans vos secrets, et que vous avez bien senti dès le premier jour qu’il n’était pas fait pour être dans votre confidence. Je sais à quel point il est dangereux, et vous ne savez ce que j’en ai souffert.

Le parti que vous prenez de le chasser est indispensable. Comptez que vous prévenez par là des chagrins qu’il vous aurait attirés. Il voulait aller chez ses parents au village de Salmoran, dont il est natif. Je pense qu’il est à propos qu’il y retourne incessamment. La plus grande bonté que vous puissiez avoir pour lui est de l’avertir sérieusement qu’il se prépare un avenir bien malheureux s’il ne réforme pas sa conduite.

L’article de ses dettes sera très-embarrassant. Je pense qu’il serait assez convenable que vous fissiez rendre les bijoux à ceux qui les ont vendus, et qui ne sont pas payés. Je crois qu’il doit beaucoup au sieur Souchai, marchand de drap. M. le maréchal de Richelieu ne veut point entrer dans ses dettes, qu’il avait expressément défendues. Cependant, si on peut faire quelque accommodement, je ne désespère pas qu’il n’accorde une petite somme.

Nous sommes infiniment sensibles, maman et moi, à l’embarras et aux désagréments que sa mauvaise conduite peut vous causer.

Adieu, monsieur ; je vous embrasse avec le plus tendre et le plus respectueux attachement. V.