Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7078

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 438-439).
7078. — À M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 28 novembre.

Il y a environ quarante-cinq ans que monseigneur est en possession de se moquer de son humble serviteur. Il y a trois mois que je sors rarement de mon lit, tandis que monseigneur sort tous les jours de son bain pour aller dans le lit d’autrui, et vous êtes tout ébahi que je me sois habillé une fois pour assister à une petite fête. Puissiez-vous insulter encore quarante ans aux faiblesses humaines, en ne perdant jamais ni votre appétit, ni votre vigueur, ni vos grâces, ni vos railleries !

Vous avez laissé choir le tripot de la Comédie de Paris. Je m’y intéresse fort médiocrement ; mais je suis fâché que tout tombe, excepté l’opéra-comique. J’ai peur d’avoir le défaut des vieillards, qui font toujours l’éloge du temps passé ; mais il me semble que le siècle de Louis XIV, dont on fait actuellement une édition nouvelle fort augmentée, était un peu supérieur à notre siècle.

Comme cet ouvrage est suivi d’un petit abrégé qui va jusqu’à la dernière guerre[1], je ne manquerai pas de parler de la belle action de M. le duc d’Aiguillon[2], qui a repoussé les Anglais. J’avais oublié cette consolation dans nos malheurs.

Votre ancien serviteur se recommande toujours à votre bonté et loyauté, et vous présente son tendre et profond respect.

  1. L’édition de 1768 du Siècle de Louis XIV contenait la première édition du Précis du Siècle de Louis XV, dont les chapitres xxxiii-xxxv donnaient le récit de la guerre de Sept ans (1757-1763).
  2. Voyez tome XV, page 370.