Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7054

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 415-417).
7054. — À M. CHRISTIN.
À Ferney, 27 octobre.

Mon cher ami, je vous écris à tout hasard, ne sachant où vous êtes, et je prie M. Le Riche de vous faire tenir ma lettre. J’ai écrit à M. Jean Maire, receveur de M. le duc de Wurtemberg ; je lui ai mandé que la nécessité de soutenir mes droits et ceux de ma famille contre les créanciers du prince m’oblige de mettre les affaires en règle ; que vous êtes chargé de ma procuration ; que vous devez être incessamment dans le bailliage de Baume, et qu’il est de l’intérêt du prince que la chambre de Montbéliard prenne sans délai des arrangements avec vous, pour prévenir des frais ultérieurs ; qu’il n’y a qu’à me déléguer mes rentes et celles de ma famille, sur des fermiers solvables et sur des régisseurs, en stipulant que leurs successeurs seront tenus aux mêmes conditions, quand même ces conditions ne seraient pas exprimées dans les contrats que la chambre de Montbéliard ferait un jour avec eux.

Si la chambre de Montbéliard a une envie sincère de terminer cette affaire, elle le pourra très-aisément ; et il sera nécessaire que M. le duc de Wurtemberg ratifie ces conventions.

Si les terres de Franche-Comté étaient tellement chargées qu’elles ne pussent suffire à mon payement, il faudrait faire déléguer le surplus sur les terres de Richwir et d’Horbourg, situées près de Colmar. Mais, dans toutes ces délégations, il faut stipuler que les fermiers ou régisseurs seront tenus de me faire toucher ces revenus dans mon domicile, sans aucuns frais, selon mes conventions avec M. Jean Maire, bien entendu surtout que l’on comprendra dans la dette tous les frais que l’on aura faits, tant pour la procédure que pour les contrôles et insinuations, que pour le payement de votre voyage.

S’il est impossible d’entrer dans cet accommodement raisonnable, vous ferez saisir toutes les terres dépendantes de Montbéliard en Franche-Comté ; après quoi je vous prierai d’envoyer le contrat de deux cent mille livres, par la poste, à M. Dupont, avocat au conseil souverain de Colmar, à Colmar, avec la précaution de faire charger le paquet à la poste.

M. Le Riche m’écrit d’Orgelet qu’il faut faire insinuer mon contrat de deux cent mille livres, parce que, dit-il, on pourrait un jour prétendre que j’aurais seulement placé sur la tête de ma nièce, sans que ce soit a son profit. Je ne conçois point du tout cette difficulté, puisqu’il est stipulé dans le contrat que ma nièce ne jouira qu’après ma mort. Certainement cette jouissance exprimée est au profit de Mme Denis ; mais il ne faut négliger aucune précaution, et je payerai tout ce que M. Le Riche jugera convenable.

Au reste, je me rapporte de toute cette affaire entièrement à vous ; mais je crois qu’il ne faut pas se presser de faire l’insinuation, si la chambre des finances se prête à un prompt accommodement.

Mandez-moi, je vous prie, ce que vous pensez de tout cela, et ce que vous aurez fait. Adieu, mon cher ami ; on ne peut vous être plus tendrement attaché que je le suis.