Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6869

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 246).
6869. — À M. DE LA BORDE[1].
1er mai.

Notre Chabanon arrive ; il a la plus grande opinion de mon Orphée[2] de Versailles. Il nous a trouvés dans de grands embarras. Si mon Orphée trouve des épines dans ce meilleur des mondes, nous y trouvons des loups et des tigres. La boîte de Pandore est inépuisable. J’espère que votre belle musique adoucira les mœurs.

J’ai trouvé enfin la brochure que vous demandez[3] ; je vous l’envoie, sachant bien qu’on peut tout confier à un homme aussi sage que vous. Ces petites plaisanteries des huguenots n’ébranlent pas votre religion ; elles n’ont jamais dérangé la mienne. J’ai été toujours bon sujet et bon catholique, et j’espère mourir dans ces sentiments.

Je suis bien fâché que M. Marmontel ait prétendu qu’il pouvait y avoir de la vertu chez des rois et chez des philosophes qui n’étaient pas catholiques. J’espère que la Sorbonne, qui est le concile perpétuel des Gaules, préviendra le scandale qu’une telle opinion peut donner. On dit que le révérend père Bonhomme, cordelier, prépare une censure admirable de cette hérésie. Vous qui cultivez avec succès un des plus beaux arts, vous ne vous mêlez point de querelles théologiques : vous vous bornez à faire le charme de nos oreilles et celui de la société.

Que dites-vous de votre chevalier[4], qui va faire l’éducation d’une Mlle de Provenchère ? On m’écrit qu’elle est charmante, et la vraie fille d’une mère qui l’était. Notre chevalier n’est pas un trop mauvais précepteur. Croyez-vous qu’il lui permette de mettre du rouge ? Pensez-vous que l’esprit qu’on donne à la jeune enfant dégénère entre ses mains ? Faites passer la brochure à ce chevalier, et dites-lui combien je l’aime.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. La Borde lui-même.
  3. Sans doute les Questions de Zapata.
  4. Il doit s’agir de Rochefort, qui se mariait.