Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6813

6813. — DE CATHERINE II[1],
impératrice de russie.
À Moscou, ce 15 et 26 mars 1767.

Monsieur, j’ai reçu hier votre lettre du 24 février, où vous me conseillez de faire un miracle pour rendre le climat de ce pays moins rude. Cette ville-ci était autrefois très-accoutumée à en voir, ou plutôt les bonnes gens prenaient souvent les choses les plus ordinaires pour des miracles. J’ai lu dans la préface du concile du tzar Ivan Basiliewitz, que lorsque le tzar eut fait sa confession publique, il arriva un miracle ; que le soleil parut en plein midi, et que sa lueur donna sur lui, et sur tous les pères rassemblés. Notez que ce prince, après avoir fait une confession générale à haute voix, finit par reprocher, dans des termes très-vifs, au clergé, tous ses désordres, et conjura le concile de le corriger, lui et son clergé aussi.

À présent les choses sont changées. Pierre le Grand a mis tant de formalités pour constater un miracle, et le synode les remplit si strictement, que je crains d’exposer celui que vous me conseillez. Cependant je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour procurer à la ville de Pétersbourg un meilleur air. Il y a trois ans qu’on est après à saigner les marais qui l’entourent, par des canaux, et à abattre les forêts de sapins qui la couvrent du midi ; et déjà à présent il y a trois grandes terres occupées par des colons, là où un homme à pied ne pouvait passer sans avoir de l’eau jusqu’à la ceinture ; et ils ont semé, l’automne passée, leurs premiers grains.

Comme vous paraissez, monsieur, prendre intérêt à ce que je fais, je joins à cette lettre la traduction française du Manifeste[2] publié le 14 décembre de l’année passée, dont la traduction a été si fort estropiée dans les gazettes de Hollande qu’on ne savait pas trop ce qu’il devait signifier. En russe c’est une pièce estimée : la richesse et la concision de notre langue l’ont rendue telle. La traduction en a été d’autant plus pénible. Au mois de juin, cette grande assemblée commencera ses séances, et nous dira qu’est-ce qui lui manque : après quoi l’on travaillera aux lois, que l’humanité, j’espère, ne désapprouvera pas. D’ici à ce temps-là, j’irai faire un tour dans différentes provinces, le long du Volga ; et au moment peut-être que vous y attendrez le moins, vous recevrez une lettre datée de quelque bicoque de l’Asie.

Je serai là, comme partout ailleurs, remplie d’estime et de considération pour le seigneur du château de Ferney.

Le comte Schouvalow m’a montré une lettre par laquelle vous lui demandez des nouvelles de deux écrits envoyés à la Société économique de Pétersbourg. Je sais que parmi une douzaine de mémoires qui lui ont été envoyés pour résoudre sa question, il y en a un en français, qui est adressé par Schaffouse. Si vous pouviez m’indiquer les devises de ceux pour lesquels vous vous intéressez, je ferais demander à la Société si elle les a reçus. Je crois que le jour pour les décacheter n’est pas encore échu.

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances, relatifs à l’histoire de l’empire de Russie, tome X, page 175.
  2. Sur les dissensions de Pologne.