Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6810

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 181-182).
6810. — À MADAME LA MARQUISE DE FLORIAN.
24 mars.

Voici, ma chère nièce, l’état où nous sommes. Toute communication avec Genève est interrompue. Il faut tout faire venir de Lyon, et les voitures de Lyon ne peuvent passer : plus de carrosses, plus de messageries, plus de rouliers. Nous faisions venir tout ce qui nous était nécessaire par le courrier, et on vient de saisir ce courrier. Si j’étais plus jeune, j’abandonnerais Ferney pour jamais, j’irais chercher ailleurs la tranquillité ; mais le moyen de déménager à soixante-quatorze ans ! Sans doute votre fils doit manger peu et marcher beaucoup, ou souffrir ; il faut opter. Il s’agit ici de ne pas se condamner soi-même à une vie courte et malheureuse.

Je vous remercie bien tendrement de votre assistance aux répétitions des Scythes avec votre brave Persan, grand écuyer de Babylone. Je voudrais bien qu’on ne gâtât pas, qu’on ne mutilât pas indignement ces Scythes, comme on a défiguré toutes les pièces dont j’ai gratifié les comédiens : j’ai été mal payé par eux de mes bienfaits…

Nous avons fermé notre porte heureusement aux Anglais, aux Allemands, et aux Genevois. Il faut finir ses jours dans la retraite ; la cohue m’est insupportable. Vous accommoderez-vous de notre couvent ? Ne comptez pas sur la bonne chère : elle est devenue impossible.