Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6781

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 148-150).
6781. — À M. DAMILAVILLE.
4 mars.

Mon cher ami, le mémoire des Sirven réussira. Les traits du premier mémoire, conservés dans le second, feront un très-grand effet. L’éloquence perce à travers le style du barreau.

Je vous adresserai les Sirven aussitôt que vous voudrez. Vous serez leur protecteur à Paris. Je me réserve à vous écrire plus amplement sur leur compte, quand je les ferai partir. Il faudra un passeport de M. le duc de Choiseul : nous sommes bien sûrs de n’être pas refusés.

La querelle que l’on fait à mon cher Marmontel n’est qu’une farce, en comparaison de la tragédie des Sirven et des Calas. Cette farce sera sifflée. Voici un petit madrigal d’un jeune homme de Mâcon[1], sur la bêtise de la sacrée faculté :

Vénérables sorboniqueurs,
De l’enfer savants chroniqueurs,
Vous prétendez que Marc-Aurèle
Doit cuire à jamais dans ce lieu :
Pour récompenser votre zèle,
Puisse incessamment le bon Dieu
Vous donner la vie éternelle !

Vous voyez que les provinces se forment.

Je n’ai pas le temps de vous parler beaucoup des Scythes. Je vous dirai seulement qu’un serment de punir de mort les gens convient fort dans les premiers actes de Tancrède et de Brutus, mais qu’il serait un peu déplacé dans un mariage, et qu’il serait assez ridicule qu’une femme prévît qu’on tuera son mari, lorsqu’il n’est menacé par personne. Vous sentez qu’une telle finesse serait trop grossière.

Tout dépendra du rôle d’Obéide. Il faudra que Lekain se donne la peine d’adoucir et d’attendrir la voix de Mlle Durancy, qu’on dit un peu dure et un peu sèche. Si vous avez lu la préface que je voulais aussi faire lire à M. Diderot, vous aurez vu que mon intention n’était point de faire jouer cette pièce. Mais puisque mes amis veulent qu’on la représente, j’y consens. Cela pourra donner quatre ou cinq représentations avant Pâques. Les comédiens en ont besoin ; après quoi je ne m’en mêlerai plus. Je suis bien aise que la police ait passé ces deux vers :

Le premier de l’État, quand il a pu déplaire,
S’il est persécuté, doit souffrir et se taire ;


et encore celui-ci :

Pourrais-tu rechercher cette basse grandeur[2] ?

La police a jugé sagement que ces choses-là n’arrivaient qu’en Perse.

Je vous remercie, mon cher ami, de l’intérêt que vous prenez à mes petites affaires. Je ne me suis point encore ressenti des arrangements économiques de M. le duc de Wurtemberg. J’écris à Cadix au sujet de la banqueroute des Gilly, mais j’espère très-peu de chose. Les Gilly n’ont fait que de mauvaises affaires.

Vous m’avez mandé, par votre dernière lettre, que Mlle de L’Espinasse[3] désirait des sottises complètes ; il n’y a qu’à en prendre un recueil chez Merlin, le faire relier, et le lui envoyer. Ce sera autant de payé sur les mille livres qu’il doit à Wagnière.

Je reçois dans ce moment une lettre de M. de Courteilles, qui est enchanté de votre mémoire.

Je voudrais vous envoyer du Lembertad[4], mais comment faire ?

Je vous embrasse plus fort que jamais.

  1. C’est-à-dire de Voltaire lui-même.
  2. Voyez tome VI, pages 283 et 332.
  3. Voyez tome XLIV, page 237.
  4. Ce doit être la lettre à M***, conseiller au parlement, etc., dont il est parlé tome XLIII, page 473.