Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6739

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 107-108).
6739. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
11 février, à huit heures du matin.

Les plus importantes affaires de ce monde, sans doute, sont des tragédies, car elles poursuivent l’âme le jour et la nuit. Ma première idée, quand on veut m’ôter un vers que j’aime, c’est de murmurer et de gronder ; la seconde, c’est de me rendre, J’aimais ce vers :

Elle n’a plus coûté que vous ne pouvez croire[1] ;


mais il était six heures du matin ; et, actuellement qu’il en est huit, j’aime mieux celui-ci :

Me dompter en tout temps est mon sort et ma gloire.


Ainsi donc, mes anges, n’en croyez point mes deux paquets qui sont partis ce matin ; croyez ce billet-ci qui court après. Je vous demande bien pardon, mes anges, de vous donner tant de peine pour si peu de chose[2].

Si Mlle Durancy entend, comme je le crois, le grand art des silences ; si elle sait dire de ces non qui veulent dire oui ; si elle sait accompagner une cruauté d’un soupir, et démentir quelquefois ses paroles, je réponds du succès ; sinon je réponds des sifflets. J’avoue qu’un grand succès serait nécessaire pour faire enrager les ennemis de la raison, sans parler des miens. La pièce dépend entièrement des acteurs[3].

  1. Je ne sais à quelle scène ce vers appartient. (B.)
  2. Dans Beuchot on trouve ici des phrases qui appartiennent à la lettre précédente.
  3. Cet alinéa est, sans aucun doute, un fragment d’une lettre postérieure. (G. A.)