Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6726

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 92-93).
6726. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
À Ferney, 6 février 1767.

Vraiment, monsieur, quand vous voudrez, vous nous ferez grand plaisir de combattre nos abominables neiges avec quarante bouteilles d’excellent vin. Il n’y aurait qu’à les faire adresser par la veuve Rameau, à Nyon, où je les enverrais chercher. Je suis plus las de ma Sibérie que je ne le suis de la guerre de Genève, L’hiver y est pire qu’à Pétersbourg, de l’aveu de tous les Russes qui sont venus chez nous. C’est acheter trop cher quatre mois d’un été agréable. Le plaisir du plus bel aspect du monde n’est pour moi qu’une privation quand je perds la vue ; en un mot, je voudrais venir boire votre vin à Dijon.

Ne croyez pas au reste que notre guerre genevoise soit une pure plaisanterie. Nous n’avons plus de commerce ni avec la Savoie, ni avec Lyon, ni avec la Suisse : il faut tout faire venir avec des frais immenses. Plus notre maison est grosse, plus nous souffrons.

Vous sentez, monsieur, combien je dois être flatté de l’honneur de vous avoir pour confrère. Mais entre nous (permettez‑moi de vous le dire sous le secret) nous avons un étrange associé. C’est un tour sanglant qu’on a fait à l’Académie, je ne crois pas qu’elle doive le souffrir. Il est honteux surtout que la nomination d’un homme de votre considération soit l’époque d’une pareille insulte. Un geôlier honoraire n’est guère fait pour être académicien honoraire. Toutes les bienséances sont trop blessées[2].

Je prends la liberté de vous parler avec une confiance que m’inspire mon respectueux attachement pour vous. Vous ne me décèlerez pas.

Mme Denis vous présente ses obéissances ainsi qu’à Mme Le Bault.

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.
  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Dictée par Voltaire, signée par lui.
  2. Il s’agit de l’Académie de Dijon. Voltaire en avait été reçu membre le 3 avril 1761. Nous n’aurons pas l’indiscrétion de rechercher à qui peut s’appliquer l’épithète de geôlier honoraire. (Note du premier éditeur.) — La lettre 6722 a trait sans doute au même sujet.