Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6719

6719. — À CHRISTIAN VII,
roi de danemark.
Le 4 février.

Sire, la lettre dont Votre Majesté m’a honoré m’a fait répandre des larmes de tendresse et de joie. Votre Majesté donne de bonne heure de grands exemples. Ses bienfaits pénètrent dans des pays presque ignorés du reste du monde. Elle se fait de nouveaux sujets de tous ceux qui entendent parler de sa générosité bienfaisante. C’est désormais dans le Nord qu’il faudra voyager pour apprendre à penser et à sentir ; si ma caducité et mes maladies me permettaient de suivre les mouvements de mon cœur, j’irais me jeter aux pieds de Votre Majesté.

Du temps que j’avais de l’imagination, sire, je n’aurais fait que trop de vers pour répondre à votre charmante prose. Pardonnez aux efforts mourants d’un homme qui ne peut plus exprimer l’étendue des sentiments que vos bontés font naître en lui. Je souhaite à Votre Majesté autant de bonheur qu’elle aura de véritable gloire.


Pourquoi, généreux prince, âme tendre et sublime,
Pourquoi vas-tu chercher dans nos lointains climats
Des cœurs infortunés que l’injustice opprime[1] ?
C’est qu’on n’en peut trouver au sein de tes États.

Tes vertus ont franchi par ce bienfait auguste
Les bornes des pays gouvernés par tes mains ;
Et partout où le ciel a placé des humains,
Tu veux qu’on soit heureux et tu veux qu’on soit juste.

Hélas ! assez de rois que l’histoire a faits grands
Chez leurs tristes voisins ont porté les alarmes ;
Tes bienfaits vont plus loin que n’ont été leurs armes :
Ceux qui font des heureux sont les vrais conquérants.


  1. Les Sirven.