Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6673

Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 48-49).

6673. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, 13 janvier.

Vous jouez un beau rôle, monsieur ; vous êtes toujours le protecteur de l’innocence opprimée. Vous avez dû être aussi bien reçu en Angleterre qu’un juge des Calas le serait mal. Une nation ennemie des préjugés et de la persécution était faite pour vous. Je n’ose me flatter que vous fassiez aux Alpes et au mont Jura le même honneur que vous avez fait à la Tamise ; mais je crois que j’oublierais ma vieillesse et mes maux si vous faisiez ce pèlerinage.

Je cherche actuellement les moyens de vous faire parvenir quelques livres assez curieux qu’on m’a envoyés de Hollande. Le commerce des pensées est un peu interrompu en France ; on dit même qu’il n’est pas permis d’envoyer des idées de Lyon à Paris. On saisit les manufactures de l’esprit humain comme des étoffes défendues. C’est une plaisante politique de vouloir que les hommes soient des sots, et de ne faire consister la gloire de la France que dans l’opéra-comique. Les Anglais en sont-ils moins heureux, moins riches, moins victorieux, pour avoir cultivé la philosophie ? Ils sont aussi hardis en écrivant qu’en combattant, et bien leur en a pris. Nous dansons mieux qu’eux, je l’avoue ; c’est un grand mérite, mais il ne suffit pas. Locke et Newton valent bien Dupré et Lulli.

Mille respects a votre aimable femme, qui pense. Conservez‑moi vos bontés.