Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6636

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 558-559).

6636. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
27 décembre.

J’allais partir[2], tout malade que je suis, et je ne suis point encore parti, mon divin ange. Mme Denis, dans son inquiétude et dans sa douleur, avait donné l’alarme à son frère. Je vous prie de le rassurer et d’être très-tranquille ; il doit venir vous voir.

Mme Le Jeune est en lieu de sûreté ; elle n’a rien à craindre, elle n’est coupable de rien. Elle m’a dit qu’elle est sœur de ce célèbre capitaine Thurot, qui est mort si glorieusement au service du roi. Quelle destinée pour la sœur d’un si brave homme ! Elle m’a dit encore que Mme d’Argental ne sait rien ; ainsi vous ne l’inquiéterez point.

J’espère que tout ira bien. Nous faisons un procès criminel à la Doiret[3], qui est une friponne, et à son compère, qui est un scélérat. Voici la copie de la lettre que j’écris aujourd’hui à M. le v… c…[4]. Nous ne demandons point grâce, nous demandons justice : il n’y a certainement d’autre démarche à faire, sinon que vous parliez à M. de Maupeou, que vous lui fassiez voir l’absurdité qu’il y aurait à imaginer que je vends des livres étrangers et que j’envoie des cinquante et soixante volumes de dix ou douze ouvrages différents ; qu’on a pris indignement mon nom ; que cette affaire ne peut se traiter que judiciairement ; que nous demandons en justice la mainlevée de nos effets volés ; que le directeur du bureau a agi contre les ordonnances en n’arrêtant pas la femme Doiret et son complice, qui était venu avec elle dans le même carrosse ; que Mme Denis est en droit de répéter ses effets volés chez elle, etc., etc. Une conversation suffira. Je me flatte qu’on n’étourdira pas le roi de cette misère, et que tout sera fini, mon cher ange, par votre sagesse et votre activité. Cela ne m’empêchera pas de finir les Scythes ; les malheurs de l’homme ne font jamais rien au poëte. L’homme et le poëte vous adorent.

  1. Éditeurs, de Cayrol et, François.
  2. Il s’apprétait à fuir.
  3. C’était le faux nom que Mme Le Jeune avait pris.
  4. Le vice-chancelier Maupeou.