Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6606
Mon cher ami, j’ai remercié M. de Courteilles, dans les termes les plus passionnés, de la justice qu’il vous rendra sans doute. Vous devez d’ailleurs absolument compter sur M. d’Argental. Il est bien cruel que vous ayez besoin de protection, et que vous soyez réduit depuis si longtemps à consumer vos jours dans des travaux qui ne sont pas faits pour un homme de lettres. Mais enfin, puisque telle est votre destinée, il est juste que vous en tiriez l’avantage que vous méritez par vos services. Il est bien beau à vous, dans cette situation critique où vous êtes, et qui m’intéresse si vivement, d’avoir trouvé du temps pour travailler au mémoire des Sirven avec M. de Beaumont. Je me flatte qu’il n’y aura point de phrases, mais une éloquence vraie, mâle, et touchante, dans ce mémoire, qui doit lui faire tant d’honneur. Il doit avoir reçu la lettre[1] que je vous envoyai pour lui dans mes derniers paquets.
Je crois qu’il faudra laisser chez le banquier les deux cents ducats du roi de Pologne, avec ce que nous pourrons tirer des personnes généreuses qui voudront nous aider. Cela servira à payer en partie les frais du conseil, qui seront immenses. Si vous voyez Mme Geoffrin, je vous supplie de me mettre à ses pieds.
Je ne sais pas assurément comment tournera le procès de La Chalotais ; mais, puisqu’il sera jugé par le conseil, je suis sur de l’équité la plus impartiale.
Vous savez sans doute que Rousseau avait fait un projet de sédition dans Genève, qu’on a trouvé dans les papiers du nommé Le Nieps[2], qui a été arrêté et mis à la Bastille. Rousseau devait venir se cacher dans le territoire auprès du lac, dans un endroit nommé le Paquis. Son dessein apparemment était d’être pendu ; c’est un homme qui cherche toute sorte d’élévation. Il est bien triste que les Ô[3] qu’on lui adresse dans l’Encyclopédie subsistent ; c’est un bien mauvais guide dans un dictionnaire qu’un enthousiasme qu’on est obligé de désavouer.
Je n’ai pas encore de réponse de l’abbé Coyer sur son bâtard[4], dont il m’a fait passer pour père. J’ai assez d’enfants à nourrir, sans adopter ceux des autres.
Adieu ; mandez-moi, je vous prie, en quel état est l’affaire qui vous regarde, et ne me laissez pas ignorer où en est celle des Sirven.
- ↑ Elle manque.
- ↑ Le Nieps, Genevois condamné, en 1731, à un exil perpétuel, était venu s’établir à Paris. Lors des affaires de Genève il s’était prononcé pour le parti de la bourgeoisie, où il était très-considéré. On trouve sur lui des détails aux pages 22 et 482 du tome II des Œuvres inédites de J.-J. Rousseau, 1825.
- ↑ C’est Diderot qui, dans l’article Encyclopédie, s’écrie : Ô Rousseau ! etc.
- ↑ Il s’agit de la Lettre au docteur Pansophe.