Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6580

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 504-505).

6580. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
21 novembre.

La Lettre au docteur Pansophe, madame, est de l’abbé Coyer. J’en suis très-certain, non-seulement parce que ceux qui en sont certains me l’ont assuré, mais parce que, ayant été au commencement de l’année en Angleterre, il n’y a que lui qui puisse connaître les noms anglais qui sont cités dans cette lettre. Je connais d’ailleurs son style ; en un mot, je suis sûr de mon fait.

Il est fort mal à lui, qui se dit mon ami, de s’être servi de mon nom, et de feindre que j’écris une lettre à Jean-Jacques, quand je dis[1] qu’il y a sept ans que je ne lui ai écrit. Je me ferais sans doute honneur de cette Lettre an docteur Pansophe, si elle était de moi. Il y a des choses charmantes et de la meilleure plaisanterie ; il y a pourtant des longueurs, des répétitions, et quelques endroits un peu louches. Il faut avouer en général que le ton de la plaisanterie est, de toutes les clefs de la musique française, celle qui se chante le plus aisément. On doit être sûr du succès, quand on se moque gaiement de son prochain ; et je m’étonne qu’il y ait à présent si peu de bons plaisants dans un pays où l’on tourne tout en raillerie.

Pour moi, je vous assure, madame, que je n’ai point du tout songé à railler, quand j’ai écrit à David Hume : c’est une lettre[2] que je lui ai réellement envoyée ; elle a été écrite au courant de la plume. Je n’avais que des faits et des dates à lui apprendre ; il fallait absolument me justifier des calomnies dont ce fou de Jean-Jacques m’avait chargé.

C’est un méchant fou que Jean-Jacques ; il est un peu calomniateur de son métier ; il ment avec des distinctions de jésuite, et avec l’impudence d’un janséniste.

Connaissez-vous, madame, un petit Abrégé de l’Histoire de l’Église[3], orné d’une préface du roi de Prusse ? Il parle en homme qui est à la tête de cent quarante mille vainqueurs, et s’exprime avec plus de fierté et de mépris que l’empereur Julien. Quoiqu’il verse le sang humain dans les batailles, il a été cruellement indigné de celui qu’on a répandu dans Abbeville.

L’assassinat juridique des Calas, et le meurtre du chevalier de La Barre, n’ont pas fait honneur aux Welches dans les pays étrangers. Votre nation est partagée en deux espèces : l’une, de singes oisifs qui se moquent de tout ; et l’autre, de tigres qui déchirent. Plus la raison fait de progrès d’un côté, et plus de l’autre le fanatisme grince des dents. Je suis quelquefois profondément attristé, et puis je me console en faisant mes tours de singe sur la corde.

Pour vous, madame, qui n’êtes ni de l’espèce des tigres ni de celle des singes, et qui vous consolez au coin de votre feu, avec des amis dignes de vous, de toutes les horreurs et de toutes les folies de ce monde, prolongez en paix votre carrière. Je fais mille vœux pour vous et pour M. le président Hénault. Mille tendres respects.

  1. Voyez tome XXVI, page 29.
  2. Celle du 24 octobre ; voyez tome XVI. page 29.
  3. Par l’abbé de Prades ; voyez page 203.