Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6397
Mon cher frère, Polyeucte et Néarque[1] déchirent toujours mon cœur ; et il ne goûtera quelque consolation que quand vous me manderez tout ce que vous aurez pu recueillir.
On dit qu’on ne jouera point la pièce de Collé[2] : je m’y intéresse peu, puisque je ne la verrai pas ; et, en vérité, je suis incapable de prendre aucun plaisir après la funeste catastrophe dont on veut me rendre en quelque façon responsable. Vous savez que je n’ai aucune part au livre[3] que ces pauvres insensés adoraient à genoux. Il pleut de tous côtés des ouvrages indécents, comme la Chandelle d’Arras[4], le Compère Matthieu[5], l’Espion chinois[6] ; et cent autres avortons qui périssent au bout de quinze jours, et qui ne méritent pas qu’on fasse attention à leur existence passagère. Le ministère ne s’occupe pas sans doute de ces pauvretés : il n’est occupé que du soin de faire fleurir l’État ; et l’intérêt réduit à quatre pour cent est une preuve d’abondance.
Je tremble que M. de Beaumont ne se décourage : je vous conjure d’exciter son zèle. J’ai pris des mesures qui vont m’embarrasser beaucoup, s’il abandonne cette affaire des Sirven. Parlez-lui, je vous prie, de celle d’Abbeville ; il s’en sera sans doute informé. Je ne connais point de loi qui ordonne la torture et la mort pour des extravagances qui n’annoncent qu’un cerveau troublé. Que fera-t-on donc aux empoisonneurs et aux parricides ?
Adieu, mon cher ami ; adoucissez, par vos lettres, la tristesse où je suis plongé.