Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6329
Pendant que mon ex-jésuite se tue à forger des vers pour plaire à mes anges, je barbouille de la prose de mon côté.
Je fais une histoire des proscriptions, à commencer depuis celle des vingt-trois mille Juifs que les Lévites égorgèrent pieusement sèment du temps de Moïse, et à finir par celle des prophètes des Cévennes, qui faisaient une liste des impies que Dieu avait condamnés à mourir par leurs mains.
Ce petit ouvrage peut être curieux, et les notes sur l’histoire romaine seront assez intéressantes : une tragédie toute seule ne peut guère exciter la curiosité. Le public est las de tragédies, surtout depuis que Mlle Clairon a renoncé au théâtre.
Mes anges ne m’ont rien dit de cette fatale catastrophe. La requête de l’avocat[2] de la Comédie n’a pas plus réussi que sa consultation[3] sur Genève ; il est bien difficile de débarbariser le monde.
Je vous supplie, mes divins anges, de lire la pièce d’éloquence que je vous envoie, avec le petit mémoire qui l’accompagne[4] ; vous verrez que j’ai affaire à des fous et à des sots qui ne savent ni ce qu’ils font ni ce qu’ils veulent. Si vous croyez qu’il soit nécessaire de faire parvenir ce mémoire à M. le duc de Praslin ou à M. le duc de Choiseul, je m’en remets à votre décision et à vos bontés.