Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6272

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 223).

6272. — À M.  HENNIN.
Ferney, 15 février.

J ai l’honneur, monsieur, de vous envoyer le petit catafalque de campagne. On ne dira pas de celui-là :


Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Et dans cFont encore les vaines,
Et dans cIls sont mangés des vers.

(Malherbe, paraph. du Ps. cxlv.)

Il n’y aura ni vers ni âme. M.  Racle viendra ajuster cette triste décoration, et sera à vos ordres. Je voudrais bien y être aussi, mon cœur y est ; mais si l’esprit est prompt, la chair est faible[1], je ne puis quitter le coin du feu.

J’ai entendu votre canon, tandis que vous buviez ; nous avons bu à votre santé au bruit de ce tintamarre. Quand les médiateurs suisses viendront, les Genevois ne tireront pas leur poudre aux moineaux. On dit que ces médiateurs sont d’une taille énorme, et que le syndic l’Agneau leur passera entre les jambes.

Il est venu aujourd’hui au chevet de mon lit deux filles de Genève, jeunes et jolies ; je leur ai demandé ce qu’elles voulaient. Elles m’ont dit qu’elles avaient des besoins ; je n’étais point du tout en état de les satisfaire. Je leur ai fait donner à déjeuner et de l’argent le plus innocemment du monde. Je leur conseille de venir à votre lever, mais l’une après l’autre, afin que vous ayez la liberté de satisfaire à leurs besoins pressants. Nous en avons un très-grand d’avoir l’honneur de vous voir. V.

  1. Matthieu, xxvi, 41 ; et Marc, xiv, 38.