Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6258

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 207-208).

6258. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
4 février.

Je renvoie à mes divins anges le mémoire de M. de La Voute[1] pour les comédiens. Je les supplie très-humblement de trouver que j’ai raison, parce que je crois avoir raison ; mais, s’ils me condamnent, je croirai que j’ai tort. La tournure que vous avez prise est très-habile. La déclaration du roi sera un bouclier contre la prêtraille. Elle sera enregistrée ; et quand les cuistres refuseront la sépulture à un citoyen pensionnaire du roi, on leur lâchera le parlement. Ne vous ai-je pas mandé que ma Catherine vient de chasser les capucins[2], pour n’avoir pas voulu enterrer un violon français ?

Vous êtes donc de très-bons politiques ; vous auriez donc arrangé les Genevois en vous jouant ? On dit M. le chevalier de Beauteville malade : il peut se donner tout le temps de raffermir sa santé, rien ne presse ; il n’y a pas eu une patte de froissée dans la guerre des rats et des grenouilles[3]. M. Crommelin est un peu ardent ; on aurait dit que le feu était aux quatre coins de Genève. Comptez que les médiateurs se mettront à pouffer de rire quand ils verront de quoi il s’agit. On a trompé monsieur le duc, on l’a engagé à précipiter ses démarches. Les Zurichois, qui n’aiment pas à dépenser leur argent inutilement, commencent à murmurer qu’on les envoie chercher pour une querelle d’auteur : car c’est là l’unique fond de la noise. Si je ne m’occupais pas tout entier de l’affaire des Sirven, qui est plus sérieuse, je ferais un petit Lutrin de la querelle de Genève[4]. J’ai vu l’esquisse du mémoire d’Élie de Beaumont. Je me flatte qu’il fera un très-grand effet, et que nous obtiendrons un arrêt d’attribution. Vous nous protégerez, mes chers anges. Il est bon d’écraser deux fois le fanatisme ; c’est un monstre qui lève toujours la tête. J’ai dans la mienne de soulever l’Europe pour les Sirven ; vous m’aiderez.

Respect et tendresse.

  1. Pierre-Jabineau de La Voute, né à Étampes en 1721, avocat en 1746, mort le 1er mars 1787.
  2. Voyez la lettre de Catherine, du 11-22 août 1765, n° 6089, page 45.
  3. Voltaire a déjà, dans sa lettre 6255, comparé les querelles des Genevois à celles des rats et des grenouilles.
  4. Voltaire fit en effet un poëme intitulé la Guerre civile de Genève ; voyez, tome IX.