Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6144

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 95-96).

6144. — À M. LEKAIN.
À Ferney, le 1er novembre.

J’ai reçu, mon cher ami, votre lettre du 24 octobre, et vous devez avoir reçu à présent, par M. d’Argental, tout ce que j’ai pu faire pour votre Bretonne Adélaïde. Je ne l’ai pas actuellement sous les yeux : les maçons et les charpentiers se sont emparés de ma maison, et mes vers m’ennuient.

Je vous prie de me mander si vous êtes actuellement bien employé à Fontainebleau, si Mlle Clairon y a paru, et si elle y paraîtra ; si on a joué Gertrude[1], et Ce qui plait aux Dames[2].

Je ne peux m’imaginer que monseigneur le dauphin soit en danger[3], puisqu’on donne continuellement des fêtes. Sa santé peut être altérée, mais ne doit point donner d’alarmes. Mandez-moi, je vous prie, s’il assiste au spectacle, et s’il a vu votre Adélaïde ; je dis la vôtre, car c’est vous seul qui l’avez ressuscitée.

Adieu, je vous embrasse, et je vous prie de me dire des nouvelles, si vous avez le temps d’écrire.


Ce 2 novembre.

Comme on allait porter ma lettre à Genève, j’ai retrouvé quelques lambeaux de cette Adélaïde, que j’ai si longtemps négligée.

1° Je suppose qu’on a rayé dans votre copie ces quatre vers du troisième acte :


Mais bientôt abusant de ma reconnaissance,
Et de ses vœux hardis écoutant l’espérance,
Il regarda mes jours, ma liberté, ma foi.
Comme un bien de conquête, et qui n’est plus à moi[4].


Ces quatre vers sont bons à être oubliés.

2° Je trouve, dans ce même troisième acte, à la dernière scène, ces vers dans un couplet de Coucy[5] :


Faites au bien public servir votre disgrâce.
Eh bien, rapprochez-les, unissez-vous à moi.

Je suppose qu’à la scène v et dernière du quatrième acte, vous tombez dans un fauteuil lorsque Coucy dit :


Il ne se connait plus, il succombe à sa rage ;


mais je ne crois pas que ce jeu de l’acteur doive être indiqué dans la pièce[6].

Voilà, mon cher ami, tout ce que je puis vous dire sur une pièce qui ne méritait pas l’honneur que vous lui avez fait.

Nous avons des pluies continuelles ; si la saison n’est pas plus belle à Fontainebleau, vos fêtes doivent être assez tristes.

  1. Voyez une note sur la lettre 6142.
  2. La Fée Urgèle ou Ce qui plaît aux Dames, comédie (de Favart et Voisenon) tirée du conte de Voltaire intitulé Ce qui plaît aux Dames (voyez tome X), avait été représentée à Fontainebleau le 26 octobre 1765, et le fut à Paris le 4 décembre.
  3. Il mourut le 20 décembre.
  4. Ces vers sont dans l’édition de 1766 ; voyez tome III, page 138.
  5. Voyez tome III, page 116.
  6. Cette indication du jeu de l’acteur a été conservée (voyez tome III, page 124) ; elle était dans l’édition in-4o de 1768 et dans les suivantes.