Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6109

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 63-64).

6109. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Genève, 16 septembre.

Vous vous êtes donc mis, monseigneur, à ressusciter les morts ? Vous avez déterré je ne sais quelle Adélaïde morte en sa naissance, et que j’avais empaillée pour la déguiser en Duc de Foix. Vous lui avez donné la plus belle vie du monde. Tronchin n’approche pas de vous, quelque grand médecin qu’il soit ; il ne peut me faire autant de bien que vous en faites à mes enfants. Je ne désespère pas, tandis que vous êtes en train, que vous ne ressuscitiez aussi la Femme qui a raison. On prétend qu’il y a quelques ordures, mais les dévotes ne les haïssent pas. Que sait-on même si un jour vous ne ferez pas jouer la Princesse de Navarre ? La musique, du moins, en est très-belle, et je suis sûr qu’elle ferait grand plaisir : cela vaudrait bien un opéra-comique.

Je ne sais si Mlle  Clairon rajuste sa santé dans le beau climat de Provence. Je crois que le public ferait en elle une perte irréparable. Vous aurez trouvé que j’ai poussé l’enthousiasme un peu loin dans certains petits versiculets[1] ; mais si vous aviez vu comme elle a joué Électre dans mon tripot, vous me pardonneriez.

Vous allez vous occuper de plaisirs à Fontainebleau ; ces plaisirs-là sont de ma compétence, mais il ne m’appartient pas de les goûter à votre cour. J’ai environ deux douzaines d’enfants qui se produisent quelquefois sous votre protection ; mais pour le père, il fait fort bien d’aimer sa retraite, et de ne pas désirer autre chose ; il ne regrette que le bonheur qu’il a eu si longtemps de vous approcher et d’admirer votre gaieté au milieu de vos affaires de toute espèce. Ses yeux, pochés par le vent du nord, ne lui permettent pas de vous écrire de sa main à quel point il est pénétré de respect pour vous, et combien il prend la liberté de vous aimer.

  1. L’Épître à mademoiselle Clairon.