Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6094
Mes divins anges, je viens encore de recevoir plusieurs paquets contre-signés Laverdy, Choiseul, Saint-Florentin. Tous les paquets adressés directement à moi de la part de ceux qui ont droit de contre-seing me sont rendus, et l’ont été sans difficulté ; on n’en fait que lorsque ces paquets sont adressés à quelqu’un pour une autre personne. C’est pour avoir pris trop de précautions, c’est pour m’être fait adresser l’ouvrage du jeune homme[2] sous le nom de Camp, et pour avoir fait mettre une seconde enveloppe : À Wagnière, à Genève, chez un marchand, que ce paquet fut taxé ; c’est pour avoir envoyé ce même ouvrage de Genève, à votre nom, sous celui de M. le duc de Praslin, qu’il a été taxé encore. Si je l’avais envoyé tout ouvert à M. le duc de Praslin, en le priant de vous le remettre, il aurait certainement joui d’une pleine franchise. M. le duc de Praslin pourrait donc très-aisément m’envoyer cet ouvrage, et même avec un mot de sa main, étant très-permis à un ministre de lire de mauvais vers et de me les renvoyer.
J’avais été extrêmement effarouché de l’aventure de la demi-feuille[3] ; mais il n’y a qu’à ne plus écrire de ces demi-feuilles et à continuer la correspondance comme à l’ordinaire, en observant seulement que les gros paquets, comme l’ouvrage en question que M. le duc de Praslin me renverrait directement, ne fussent pas sous une autre enveloppe que la sienne.
J’envoie donc ce présent mémoire à M. de Courteilles pour premier essai, et surtout je vous demande très-humblement pardon de ces détails et de ces embarras, tristes fruits d’une éternelle absence. Je devais vous envoyer aujourd’hui des vers que j’ai faits pour Mlle Clairon ; mais comme Gabriel Cramer, toujours extrêmement attentif, ne m’en a donné aucun exemplaire, et que Mlle Clairon, qui vient de partir, s’est saisie à mon insu de ceux qui sortaient tout mouillés de la presse, vous ne les aurez que par la prochaine poste. Je les ai faits avec beaucoup de soin, ils n’en sont peut-être pas meilleurs.
Je vous ai supplié de m’obtenir du dépôt des affaires étrangères un éclaircissement sur les secrétaires d’ambassade, et surtout sur celle de Venise ; je vous réitère ma très-humble prière.
Je crois, ou du moins on croit ici, que Montpéroux, résident à Genève, n’a pas longtemps à vivre : il est attaqué d’une jaunisse à la suite d’une apoplexie. Il y a un M. Astier, commissaire de marine en Hollande ; c’est un philosophe, et de plus un homme très-sage et très-aimable. Si M. de Montpéroux succombait, si vous protégiez M. Astier, M. le duc de Praslin ne pourrait faire un meilleur choix.
J’avoue qu’il me serait dur de me transplanter à mon âge ; mais il le faudrait bien, si on me chicanait : vos bontés me rassurent.
Permettez que j’insère ici ce petit mot pour Lekain.