Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6043

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 2-3).

6043. — À M. DAMILAVILLE.
À Genève, 7 juin.

Je ne sais, mon digne et vertueux ami, si je vous ai mandé que la femme de Sirven est morte, en prenant, comme Calas, Dieu à témoin de son innocence. La douleur a abrégé ses jours. Le père est au désespoir ; cela ne nous empêchera pas de faire toutes nos diligences pour fournir au généreux Beaumont toutes les pièces nécessaires.

Je suis toujours malade auprès de M. Tronchin : mais quand je serais à la mort, je ne négligerais pas de servir une famille si infortunée.

J’ai reçu vos lettres du 29 mai et du 31, mais je n’ai pu encore démêler si vous avez reçu par M. Gaudet la lettre que l’Ecrlinf vous adressa le 22[1]. Je vous supplie de vouloir bien faire parvenir à M. Briasson le petit mémoire ci-joint[2]. Je serais curieux d’avoir les ouvrages que l’abbe Mazin a donnés de son vivant. C’était un homme, qui écrivait dans un style un peu précieux, à peu près dans le goût de l’Histoire de la Philosophie, de Deslandes[3]. Briasson est fort au fait de tous ces livres rares, et il pourrait me les faire tenir. Je vous serai très-obligé de lui recommander de les faire chercher dans la librairie.

Plusieurs lettres parlent avec beaucoup d’éloges du Sermon de monsieur l’archevéque de Toulouse[4], à l’ouverture de l’assemblée du clergé ; cette modération et cette douceur doivent plaire beaucoup au roi, dont il seconde la sagesse.

J’ai chez moi l’auteur de Warwick[5] ; il va faire une tragédie tirée de l’histoire de France ; mais il est à craindre qu’il ne lui arrive la même chose qu’aux bûcherons qui prétendaient tous recevoir une cognée d’or, parce que Mercure en avait donné une d’or à un de leurs compagnons pour une de bois[6]. Les sujets tirés de l’histoire de son pays sont très-difficiles à traiter. Je lui donnerai du moins mes petits conseils, et, ne pouvant plus travailler, je tâcherai d’encourager ceux qui se consacrent au métier dangereux des lettres. Il ne m’a jamais produit que des chagrins ; je souhaite aux autres un sort plus heureux.

Avez-vous fait commencer l’estampe des Calas ? Il ne faut pas laisser refroidir la chaleur du public ; il oublie vite, et il passe aisément du procès des Calas à l’Opéra-Comique.

De quoi se mêle le parlement de Pau de donner aussi sa démission ? Pour moi, j’ai donné la mienne des vers et de la prose ; et, pourvu que la calomnie me laisse en paix, je mourrai tout doucement. En attendant, je vis pour vous aimer.

Je vous embrasse, mon cher ami, avec la plus grande tendresse ; mandez-moi surtout comment va votre gorge.

  1. Voyez lettre 6025.
  2. Il manque.
  3. Voyez tome XXVI, page 560.
  4. Loménie de Brienne ; voyez la note 2, tome XLIII, page 558.
  5. La Harpe, dont la tragédie de Pharamond fut jouée le 14 août 1765.
  6. La Fontaine, livre V, fable i.