Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6024

Correspondance de Voltaire/1765
Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 561-562).
6024. — À M. COLINI.
À Ferney, 21 mai.

Mon ami, que Son Altesse électorale me dise : Prends ton lit, et marche[1] je vole à Schwetzingen. Il y a plus de huit mois que je ne suis sorti de ma chambre ; je meurs en détail, et nous ne sommes plus au temps des miracles. Je sais bien qu’il y a des gens qui ont encore de la force à soixante-douze ans ; les patriarches étaient des enfants à cet âge.

Ceux qui ont dit que je quittais mon petit château de Ferney ont été bien mal informés : il est vrai que je me suis défait des Délices ; mais c’est que je ne me suis pas trouvé assez riche pour les garder, et que l’état de ma santé, qui exige la retraite la plus profonde, était incompatible avec l’affluence de monde que m’attirait le voisinage de Genève. J’ai jugé d’ailleurs que, n’ayant qu’un corps, je ne devais pas avoir deux maisons. Qu’il serait doux pour moi, mon cher ami, de passer quelques-uns de mes derniers jours auprès d’un prince tel que monseigneur l’électeur ! Quel plaisir j’aurais, après lui avoir fait ma cour, de m’enfermer dans ma chambre avec quelques volumes de sa belle bibliothèque ! Dans quelque triste état que je sois, je ne veux pas désespérer de ma destinée ; je me flatte toujours de la plus douce de mes espérances. Mettez-moi à ses pieds, aimez-moi, et soyez bien sûr que je ne vous oublierai jamais.

(Au bas est écrit de sa main :) J’ai été bien mal après ma lettre.

  1. « Tolle grabatum tuum, et ambula. » (Jean, Évang., v. 8.)