Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6001

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 544-545).

6001. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
27 avril.

Mes divins anges, il me paraît que le tripot est un peu troublé. Si les comédiens étaient assez fermes pour dire : « Nous ne pouvons faire les fonctions de notre état, si on l’avilit ; nous sommes las d’être mis en prison si nous ne jouons pas, et d’être excommuniés si nous jouons ; dites-nous à qui nous devons obéir, du roi ou d’un habitué de paroisse : mettez-nous au dernier rang des citoyens, mais laissez-nous jouir des droits qu’on accorde aux gadouards, aux bourreaux et aux Fréron ; » si, dis-je, ils tenaient ce langage, et s’ils le soutenaient, il faudrait bien composer avec eux ; mais la difficulté sera toujours d’attacher le grelot.

Je me flatte que vous avez été un peu amusés par les dernières feuilles de l’abbé Bazin[1]. Si je peux en attraper encore, j’aurai l’honneur de vous en faire part. Il y aura des misérables qui, malgré les protestations honnêtes et respectueuses de l’abbé, croiront toujours qu’il a eu des intentions malignes ; mais il faut les laisser crier.

Je ne sais à qui en a le tyran du tripot ; mon cher ange a fait tout ce qu’il devait. Si le tyran persiste dans sa lubie, mon ange n’ayant rien à se reprocher l’abandonnera à son sens réprouvé.

On n’a donc point voulu permettre le débit de la Destruction Jésuitique, qui est aussi la destruction des jansénistes. Tous ces marauds-là en ites et en istes, et en iens, sont également les ennemis de la raison ; mais la raison perce malgré eux, et il faudra bien qu’à la fin ils n’aient d’empire que sur la canaille. C’est à mon gré le plus grand service qu’on puisse rendre au genre humain, de séparer le sot peuple des honnêtes gens pour jamais ; et il me semble que la chose est assez avancée. On ne saurait souffrir l’absurde insolence de ceux qui vous disent : Je veux que vous pensiez comme votre tailleur et votre blanchisseuse.

Mes anges, je baise le bout de vos ailes.

  1. C’est sous le nom de Bazin que Voltaire avait publié la Philosophie de l’Histoire.