Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5889

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 443-444).

5889. — À M. DE MAIRAN.
À Ferney, 21 janvier.

Il faut, monsieur, que vous ayez eu la bonté de m’envoyer, il y a six mois, votre horoscope d’Auguste, car M. Thieriot me l’a fait tenir depuis huit jours. Souffrez que je vous remercie en droiture ; si je m’adressais à lui, ma lettre ne vous parviendrait qu’en 1766. J’aurais, si je voulais, un peu de vanité, car j’ai toujours été de votre avis sur tout ce que vous avez écrit. Souvenez-vous, je vous prie, de la dispute sur la masse multipliée par le carré de la vitesse. Je soutins votre opinion[1] contre la mauvaise foi de Maupertuis, qui avait séduit Mme du Châtelet. Vous m’avez éclairé de même sur plusieurs points de physique. Je vous trouve partout aussi exact qu’ingénieux. Il n’y a que les Égyptiens sur lesquels je ne me suis pas rendu. J’aime tant les Chinois et Confucius que je ne peux croire qu’ils tiennent rien du peuple frivole et superstitieux d’Égypte.

De toutes les anciennes nations, l’Égyptienne me paraît la plus nouvelle ; il me semble impossible que l’Égypte, inondée tous les ans par le Nil, ait pu être un peu florissante avant qu’on eût employé dix ou douze siècles à préparer le terrain. La plupart des régions de l’Asie, au contraire, se prêtaient naturellement à tous les besoins des hommes. Le pays le plus aisément cultivable est toujours le premier habité. Les pyramides sont fort anciennes pour nous ; mais, par rapport au reste de la terre, elles sont d’hier ; et à l’égard de nous autres Gaulois ou Welches, il y a deux minutes que nous existons : c’est peut-être ce qui fait que nous sommes si enfants.

Adieu, monsieur ; tous mériteriez d’exister toujours. Agréez, avec votre bonté ordinaire, la très-tendre et très-respectueuse reconnaissance de votre, etc.

  1. Voyez tome XXIII, page 165.