Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5883

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 438-439).

5883. — À M. DAMILAVILLE.
15 janvier.

Mon cher frère, Jean-Jacques est en horreur dans sa patrie, chez tous les honnêtes gens ; et ce qu’il y a de pis, c’est que son livre est ennuyeux.

Je croyais vous avoir mandé que la petite brochure est d’un nommé Vernes ou Vernet[1]. On dit que ce n’est qu’une seule feuille oubliée presque en naissant. Ce ministre Vernes a écrit une autre brochure contre Jean-Jacques, oubliée tout de même. Je n’ai vu ni l’un ni l’autre écrit, Dieu merci, et n’ai fait que parcourir les livres ennuyeux faits à cette occasion.

J’ai été bien aise de détromper Mme la maréchale de Luxembourg[2], à qui Jean-Jacques avait fait accroire que je le persécutais, parce qu’il m’avait offensé ridiculement. Je lui avais offert, malgré ses sottises, un sort aussi heureux que celui de Mlle Corneille ; et si, au lieu d’un quintal d’orgueil, il avait eu un grain de bon sens, il aurait accepté ce parti. Il s’est cru outragé par l’offre de mes bienfaits. Il n’est pas Diogène, mais le chien de Diogène, qui mord la main de celui qui lui offre du pain.

Tout ce que vous me dites dans votre lettre du 10 de janvier est la raison même. Je me suis tenu à Ferney pendant tous ces troubles ; je ne me suis mêlé de rien. Quand les abeilles se battent dans une ruche, il ne faut pas en approcher. Tout s’arrangera, et ce malheureux Rousseau restera l’exécration des bons citoyens.

Il est fort difficile d’avoir des Évangile[3] ; il sera peut-être plus aisé d’avoir des Portatif. Je me servirai de la voie que vous m’avez indiquée.

Ma santé est fort mauvaise ; j’ai été malade soixante et onze ans, et je ne cesserai de souffrir qu’en cessant de vivre ; mais, en mourant, je vous dirai : Ô vous, que j’aime ! persévérez malgré les transfuges et les traîtres, et écr. l’inf…

  1. Il s’agit des Sentiments des citoyens, qui sont de Voltaire ; voyez tome XXV, page 309.
  2. Voyez lettre 5875.
  3. L’Évangile de la raison (voyez la note 3, page 384). Voltaire se plaignait de ce qu’on avait mis aussi à ce volume le titre de Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire ; mais il était loin, comme on voit, de blâmer le recueil.