Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5871

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 427-428).

5871. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
Au château de Ferney, 6 janvier 1765.

Un pauvre quinze-vingt, monsieur, a encore un gosier, quoiqu’il soit privé des yeux. Les dames qui vivent avec moi ne sont pas dignes de votre vin. Elles disent que le bourgogne est trop vif pour elles ; mais moi, dont la vieillesse a besoin d’être réchauffée, j’ai recours à vos bontés ; et je vous supplie de vouloir bien rendre un arrêt par lequel il sera ordonné à un de vos gens de m’envoyer cent bouteilles, en deux paniers, du meilleur vin qu’un aveugle puisse boire ; peut-être même cela me rendra-t-il la vue, car on dit que ce sont nos montagnes de glace qui m’ont réduit à ce bel état, et que les contraires se guérissent par les contraires. Je vous avoue que je serais fâché de perdre absolument les deux yeux, qui ne pourraient plus voir Mme Le Bault, par la même raison qu’il me serait dur de perdre les deux oreilles, qui ne pourraient plus entendre ni vous ni elle. Je me suis toujours bercé de l’espérance de venir vous faire ma cour à

tous deux à Dijon, mais

Belle Philis, on désespère
Alors qu’on espère toujours.

Oserais-je, monsieur, prendre la liberté de vous supplier de présenter mes respects à monsieur le procureur général ?

Daignez me conserver toutes vos bontés. Voulez-vous bien avoir celle de m’adresser les cent bouteilles par Lyon, à l’adresse de M. Camp, banquier de Lyon, par le premier roulier qui partira pour ce pays-là.

Je vous souhaite les années de celui qui a le premier planté les vignes, soit Bacchus, soit Noé.

J’ai l’honneur d’être, avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

  1. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Dictée à un secrétaire, signée par Voltaire.