Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5842

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 396-397).

5842. — À M.  LE COMTE DARGENTAL.
10 décembre.

Je vous écrivis, le samedi 8, par M. l’abbé Arnaud. De nouvelles provisions pour les emplois comiques étaient dans ma lettre. Je soupçonne violemment monsieur l’abbé d’avoir égaré les premières. Il doit être si occupé de ses deux gazettes[1], et si entouré de paperasses, qu’on peut sans injustice le soupçonner d’égarer des paquets. Il a négligé deux paquets qu’on lui avait adressés pour moi. Je vous supplie de lui redemander non-seulement la lettre du 8 décembre, mais celle de novembre, qu’il pourra retrouver.

Vous savez sans doute que vous avez perdu l’abbé de Condillac[2], mort de la petite vérole naturelle et des médecins de l’Italie, tandis que l’Esculape de Genève[3] assurait les jours du prince de Parme par l’inoculation. Nous perdons là un bon philosophe, un bon ennemi de la superstition : l’abbé de Condillac meurt, et Omer est en vie ! Je me flatte qu’il n’aura pas l’impudence de faire de nouveaux réquisitoires contre l’inoculation, après ce qui vient de se passer à Parme. La plupart de vos médecins ne savent que cabaler. Votre Sorbonne est toujours la Sorbonne ; je ne dis rien de votre parlement, car je suis trop sage.

J’ignore ce qui s’est fait à votre assemblée de pairs, s’il s’est agi des jésuites, dont personne ne se soucie, ou d’affaires d’argent, après lesquelles tout le monde court,


Grands yeux ouverts, bouche béante[4].


Le marquis[5] demande quelles feuilles il faut envoyer à M. Pierre pour le prince[6]. Je vous ai déjà dit que cela est au-dessous de lui : et quod de minimis non curat princeps[7].

On m’a envoyé un Arbitrage fort honnête entre M. de Foncemagne[8], le défenseur du préjugé, et moi, pauvre avocat de la raison. Cet arbitrage me donne un peu gain de cause. Je ne serais pas fâché d’avoir cassé quelques doigts à une idole qu’on admirait sans savoir pourquoi.

Mes divins anges, conservez-moi vos bontés, qui font le charme de ma vie.

  1. La Gazette littéraire et la Gazette de France.
  2. La nouvelle était fausse. Condillac n’est mort qu’en 1780.
  3. Tronchin.
  4. Vers de J. -B. Rousseau, dans son couplet contre Danchet.
  5. Gabriel Cramer (voyez page 381) ; il s’agissait de quelques défets.
  6. Philibert Cramer.
  7. La maxime est : « De minimis non curat prætor. »
  8. Voyez la note 2, page 386.