Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5766

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 321-322).

5766. — À M.  LE MARÉCHAL DE DE RICHELIEU[1].
À Ferney, 21 septembre.

Mon héros ne m’a point appris dans quel temps Mme la comtesse d’Egmont irait dans ses terres papales. Je me mets aux pieds du père et de la fille ; mais je voudrais savoir si c’est cette automne qu’ils iront du côté des Alpes. Les fêtes que mon héros a données dans son royaume d’Aquitaine ont retenti jusque dans nos déserts. Il soutient toujours l’honneur de la France, en paix comme en guerre. Assurément on lui a bien de l’obligation ; mais on ne l’imite guère en aucun genre.

Je ne sais s’il accompagne Mme d’Egmont en Italie, et s’il veut avoir le plaisir de voir la ville souterraine. Nous voudrions bien lui donner quelque pièce nouvelle sur le théâtre des marionnettes de Ferney. C’est tout ce que nous pouvons lui offrir sur son passage, à moins que nous n’ayons quelque parente de Mme Ménage à lui présenter ; nos Genevoises ne sont pas dignes de lui.

La jolie vie que vous menez, monseigneur le gouverneur de Guienne, tandis que votre substitut[2] ne s’applique au… que des sangsues et se fait charpenter… … ! Ma misérable santé m’empêche de l’aller voir. Je ne sors point de Ferney, et je n’en sortirai que pour vous. J’ai renoncé à la vie ambulante et bruyante : car si vous êtes jeune, je suis vieux, et je ménage le peu de temps qui me reste.

M. le duc de Randan est venu à Genève avec M. le duc de La Trimouille et quarante officiers. Il y avait là de quoi prendre la ville. Cependant on ne leur a pas fait les plus légers honneurs. La garnison se met sous les armes pour un conseiller des Vingt-Cinq, et ne s’y est pas mise pour des commandants de province. Cela est assez ridicule. On ne s’empresse pas aujourd’hui à fêter notre nation ; il n’y a que vous qu’on distingue.

Je vous crois à présent à Paris. On dit que le tripot de la Comédie va comme les autres tripots, misérablement. Mais vous brillez par l’opéra-comique, et cela soutient la gloire d’un pays.

Si vous venez dans notre tripot. Mme  Denis vous donnera une ombre-chevalier[3] et la comédie ; mais donnez vos ordres à l’avance. Je suis bien indigne de paraître devant vous et devant Mme  d’Egmont ; je ne fais que radoter ; pardonnez à ma misère.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le duc de Lorges.
  3. Poisson du lac de Genève.