Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5654

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 221-222).

5654. — À M. DAMILAVILLE.
Aux Délices, 23 mai.

Vos dernières lettres, mon cher frère, m’ont fait un plaisir bien sensible. Tout ce que vous me dites m’a touché. J’ai écrit sur-le-champ à Mlle Catherine Vadé ; elle m’a envoyé le papier ci-joint[1], et elle m’a dit que c’est tout ce qu’elle peut faire pour les Welches, Les véritables Welches, mon cher frère, sont les Omer, les Chaumeix, les Fréron, les persécuteurs, et les calomniateurs ; les philosophes, la bonne compagnie, les artistes, les gens aimables, sont les Français, et c’est à eux à se moquer des Welches.

On dit que, pour consoler ces Welches de tous leurs malheurs, on leur a donné une comédie fort bonne qui a un très grand succès[2] ; mais j’aimerais encore mieux quelque bon livre de philosophie qui écrasât pour jamais le fanatisme, et qui rendit les lettres respectables. Je mets toutes mes espérances dans l’Encyclopédie.

Je me doutais bien que quelque libraire de Paris ferait bientôt une édition des Commentaires sur Corneille, séparément du texte ; et c’était pour prévenir cet abus welche que j’avais imaginé de faire les propositions les plus honnêtes aux libraires qui ont le privilège ; cela conciliait tout, et Pierre, neveu de Pierre, aurait eu le temps de se défaire de sa cargaison, par les mesures que je voulais prendre ; mais tout se vend avec le temps, excepté la belle édition du galimatias de Crébillon, faite au Louvre.

Je ne suis pas fâché que Mlle Clairon n’ait pas repris Olympie ; il faut la laisser désirer un peu au public. Cette pièce forme un spectacle si singulier qu’on la reverra toujours avec plaisir, à peu près comme on va voir la rareté, la curiosité[3] ; elle ne doit pas être prodiguée.

Est-il vrai que frère Helvétius est en Angleterre ? On dit que la France a fait l’échange d’Helvétius contre Hume.

Je viens de passer une journée entière avec le comte de Creutz, ambassadeur de Suède à Madrid. Plût à Dieu qu’il le fût en France ! C’est un des plus dignes frères que nous ayons. Il m’a dit que le nouveau Catéchisme, imprimé à Stockholm, commençait ainsi :

D. Pourquoi Dieu vous a-t-il créé et mis au monde ?

R. Pour le servir et pour être libre.

D. Qu’est-ce que la liberté ?

R. C’est de n’obéir qu’aux lois.

Ce n’est pas là le catéchisme des Welches.

Mon cher frère, si jamais M. Le Clerc de Montmercy fait des vers, dites-lui qu’il en fasse moins, par la raison même qu’il en fait quelquefois de fort beaux : mais multiplicasti gentem, non multiplicasti lætitiam[4]. Le moins de vers qu’on peut faire, c’est toujours le mieux.

Je viens de recevoir le mot de l’énigme de la belle paix entre l’illustre Fréron et moi. Panckoucke m’écrit une longue lettre, par laquelle il demande un armistice, et propose des conditions. Je vous enverrai la lettre et la réponse[5], dès que j’aurai des yeux ou la parole.

Bonsoir ; j’ai trente lettres à dicter ; mon imagination se refroidit, mais mon cœur est toujours bien chaud pour vous. Écr. l’inf…

  1. Supplément du Discours aux Welches ; voyez tome XXV, page 249.
  2. La Jeune Indienne, comédie de Chamfort, jouée le 30 avril 1764.
  3. Refrain d’une chanson ; voyez, tome XLII, la note, page 481.
  4. Isaïe, ix, 3.
  5. Voyez tome XXV, page 254.