Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5626

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 192-193).

5626. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
25 avril.

Je reçois, mes divins anges, la lettre du 19 avril, qui n’est point du tout griffonnée, et que mes beaux yeux d’écarlate ont très-bien lue. Nous sommes pénétrés, maman et moi, de vos bontés angéliques, et de celles de M. le duc de Praslin. Il est vrai que nous sommes un peu embarrassés avec le parlement de Dijon, parce que si nous lui disons : Notre affaire est au conseil, nous l’indisposons ; si nous demandons des délais, nous semblons nous soumettre à sa juridiction. Monsieur le premier président[1] ne peut refuser plus longtemps de mettre la cause sur le rôle. Je m’abandonne à la miséricorde de Dieu.

Pour l’affaire des roués[2], elle est toute prête, et j’ose croire qu’ils vaudront mieux qu’ils ne valaient. J’attends votre copie pour la charger d’énormes cartons depuis le commencement jusqu’à la fin.

Honneur et gloire aux auteurs de la Gazette littéraire ! Qu’ils retranchent, qu’ils ajoutent, qu’ils adoucissent, qu’ils observent les convenances que je ne peux connaître de si loin ; tout ce que j’envoie leur appartient, et non à moi. Je me suis adressé à Cramer pour l’Espagne et l’Italie, mais je n’ai rien du tout.

Ce Duchesne est comme la plupart de ses confrères : il préfère son intérêt à tout, et même il entend très-mal son intérêt en baissant un prix[3] qu’il devrait augmenter. J’ai passé ma vie dans ces vexations-là ; je n’ai connu que vexations, et j’espère bien en essuyer jusqu’à mon dernier jour. Je m’attends bien aussi aux clameurs des fanatiques de Pierre Corneille ; mais je n’ai pu dire que ce que je pense, et non ce que je ne pense pas. Il me suffit du témoignage de ma bonne conscience. Puissent mes deux anges jouir d’une santé parfaite ! que les eaux fassent tout le bien qu’elles peuvent faire ! Je vous souhaite beaucoup de bonnes tragédies et de bonnes comédies pour cet été ; mais ni les étés ni les hivers ne donnent pas beaucoup de ces sortes de fruits ; ils sont très-rares en tous pays. Aimez-moi, je vous en conjure, indépendamment de votre passion pour le théâtre. Je vous aime uniquement pour vous, et je vous serai attaché à tous deux jusqu’au dernier moment de ma vie.

  1. Fyot de La Marche fils.
  2. Le Triumvirat.
  3. Il s’agissait d’imprimer séparément les Commentaires de Voltaire sur le Théâtre de P. Corneille.