Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5548

5548. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
1er février.

Le mot episcopos, évêque, ne renferme pas le mot hébreu, prêcheur, apôtre, envoyé à Jérusalem. Ce ne fut qu’à la fin du premier siècle et au commencement du second qu’on distingua les episcopois, les presbytériens, les pistois, les diacres, les catéchumènes et énergumènes. Il n’est fait aucune mention, dans les Actes des apôtres, du voyage de Simon Barjone à Rome. Justin est le premier qui ait imaginé la fable de Simon Barjone et de Simon le Magicien à Rome. Nulle primauté ne peut être dans Barjone, puisque Paul s’éleva contre lui sans en être repris par personne.

Il est clair, depuis les premiers siècles jusqu’aujourd’hui, que l’Église grecque, beaucoup plus étendue que la nôtre, n’a jamais reconnu la primatie de Rome. Saint Cyprien, dans ses lettres aux évêques de Rome, ne les appelle jamais que frères et compagnons.

Quant au Pentateuque, ces mots : Au delà[1] du Jourdain ; Le Chananéen[2] était alors en ce pays-là ; Le lit de fer[3] d’Og, roi de Bazan, est le même qui se trouve aujourd’hui en Babbath ; il appela tout ce pays Bazan[4], et le village de Jaïr[5] jusqu’aujourd’hui ; Abraham poursuivit[6] ses ennemis jusqu’à Dan ; Avant[7] qu’aucun roi n’ait régné sur Israël ; Tous ces passages et beaucoup d’autres prouvent que Moïse n’est point l’auteur de ces livres, puisque Moïse n’avait pas passé le Jourdain, puisque le Chananéen était de son temps dans le pays, etc. Le grand Newton et le savant Le Clerc ont démontré la vérité de ce sentiment.

Cette fausse citation, Et il sera appelé Nazaréen[8], n’est pas la seule ; et, pendant deux siècles entiers, tout est plein de citations fausses et de livres apocryphes. On poussa l’impudence jusqu’à supposer ces vers acrostiches de la sibylle Érythrée[9] :


Il noAvec cinq pains er trois poissons
Il nourrira cinq mille hommes au désert ;

Et, en ramassant les morceaux qui resteront,
Et, en raIl remplira douze paniers.


Voilà une petite partie de ce qu’on peut répondre aux questions dont monsieur l’abbé veut bien honorer son serviteur et son ami. Monsieur l’abbé ne peut rendre un plus grand service aux hommes qu’en favorisant la nouvelle édition du curé de But et d’Étrépigny en Champagne[10].

Monsieur l’abbé devrait avoir reçu un sermon qui lui avait été adressé en droiture ; mais il y a trop de curieux dans le monde : il faudra, quand il voudra écrire à son serviteur, qu’il fasse passer ses lettres par la couturière à laquelle on adresse celle-ci.

On fait mille tendres compliments à monsieur l’abbé.

  1. l’Exode, i, 1. dit en deçà.
  2. Genèse, xii, 6.
  3. Deutéronome, iii, 11.
  4. Ibid., 13.
  5. Ibid., 14.
  6. Genèse xiv, 14.
  7. Ibid., xxxvi, 31.
  8. La Vulgate dit (Juges, xiii, 57 : « Erit enin Nazareus »
  9. Voyez tome XI, payes 91 et suiv.
  10. Extrait des sentiments de J. Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.