Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5520

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 84-85).

5520. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
11 janvier.

Je ne sais qui me tient que je ne… me plaigne de mes anges ; si je m’en croyais, je ferais… des remontrances à mes anges ; je leur dirais… leur fait. Mais je veux bien encore suspendre mon juste courroux pour cette poste ; je fais plus :


Je t’ai comblé de vers, je t’en veux accabler.

(Corneille, Cinna, acte V, scène dernière.)

Je me suis aperçu que le cinquième acte de leur conspiration demandait encore quelques touches, qu’il y avait des morceaux trop brusques qui n’avaient pas leur rondeur nécessaire ; que quelques vers étaient faibles, trop peu énergiques, trop communs. Je me suis souvenu surtout que mes anges, dans le temps qu’ils m’aimaient, dans le temps qu’ils m’écrivaient, me disaient que Julie, en parlant à Octave, ressemblerait trop à Junie parlant à Néron[1].

Enfin hier, ne faisant plus de contes, je repris ce cinquième acte en sous-œuvre ; et, au lieu de fatiguer les conjurés de quantité de petites corrections qu’il faudrait porter sur leur ancien exemplaire, je leur envoie un cinquième acte bien propre. Mais que les conjurés prennent bien garde, qu’ils se souviennent qu’on connaît l’écriture de mon secrétaire, et qu’ils risqueraient d’être découverts ! Ainsi, selon leur grande prudence, ils feront transcrire le tout par une main inconnue et fidèle, ou, s’ils veulent, je leur en ferai faire une autre copie. Mais, selon leur grande indifférence, ils me laissent dans ma grande ignorance sur tout ce que je leur ai demandé, sur les paquets que je leur ai envoyés, sur leur santé, sur leurs bontés, sur la Gazette littéraire, sur un paquet qui est venu pour moi d’Angleterre, à l’adresse de M. le duc de Praslin.

Respect, tendresse, et douleur.


  1. Voyez le Britannicus de Racine.