Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5500

Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 65-66).

5500. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
30 décembre.

Je mets sous les quatre ailes de mes anges ma réponse à notre ami Lekain et aux comédiens ordinaires du roi ; je les supplie de donner au féal Lekain ces deux paperasses[1]. Si je croyais que mes anges les conjurés eussent le dessein de faire passer Olympie avant les roués[2], j’y travaillerais sur-le-champ, quoique je ne sois guère en train ; c’est à mes conjurés à me conduire, et à me dire ce qu’il faut faire. Je ne suis que l’instrument de leur conspiration ; c’est à eux de me manier comme ils voudront.

Je fais toujours des contes de ma mère l’oie, en attendant leurs ordres. Il y a, je crois, une sottise dans le récit en petits vers de Théone la gaillarde :


Les dieux seuls purent comparaître
À cet hymen précipité ;


il faut :

Les dieux seuls daignèrent paraître[3].

Car les dieux ne comparaissent pas. Je vous supplie donc de

corriger cette sottise de votre main blanche. Vous m’allez demander pourquoi, étant lynx sur les fautes de mes contes à dormir debout, je suis taupe sur les défauts des tragédies ? Mes anges, c’est qu’une tragédie est plus difficile à rapetasser qu’un conte. Il faut, pour une tragédie, un extrême recueillement ; et j’ai à présent mon curé en tête[4]. Il ne ressemble point du tout à l’hiérophante d’Olympie, qui négligeait le temporel ; mon prêtre me poursuit avec une vivacité tout à fait sacerdotale, et je ne sais trop que répondre au parlement de Dijon. J’ai pris la liberté d’exposer ma doléance en peu de mots[5] à M. le duc de Praslin.

La Tolérance me tient aussi un peu en échec. Il y a un homme qui travaille à la cour en faveur des huguenots, et qui probablement ne réussira guère. On me fait craindre que la race des dévots ne se déchaîne contre ma Tolérance : heureusement mon nom n’y est pas, et vous savez que j’ai toujours trouvé ridicule qu’on mît son nom à la tête d’un ouvrage ; cela n’est bon que pour un mandement d’évêque : Par monseigneur, Cortiat[6], secrétaire.

On dit que l’archevêque de Paris avait préparé un beau mandement[7] bien chrétien, bien séditieux, bien intolérant, bien absurde, et que le roi lui a fait supprimer sa petite drôlerie[8]. Cela passe pour constant ; mais vous vous gardez bien de m’en dire un mot. Vous oubliez toujours que je suis bon citoyen ; vous croyez que je n’habite que le temple d’Éphèse et la petite île de Reno[9], auprès de Bologne, où mes trois maroufles firent leurs proscriptions.

Comment va la Gazette littéraire ? Il me vient d’Angleterre des paquets énormes ; mais qu’en ferai-je avec mes pauvres yeux ? Je ne sais où j’en suis. Dieu vous donne santé et longue vie !

Respect et tendresse.

  1. Elles sont perdues.
  2. La tragédie du Triumvirat.
  3. C’est ainsi qu’on lit dans toutes les éditions que nous avons vues du conte
    intitulé les Trois Manières ; voyez tome X.
  4. Pour le procès relatif aux dîmes.
  5. Cette lettre est perdue.
  6. Le secrétaire de Lefranc de Pompignan, évoque du Puy, s’appelait Cortial ; voyez tome XXV, pages 5 et 255.
  7. Ce mandement, ayant pour titre Instruction pastorale de monseigneur l’archevêque de Paris sur les atteintes données à l’autorité de l’Église par les jugements des tribunaux séculiers dans l’affaire des jésuites, fut condamné au feu par arrêt du parlement de Paris du 21 janvier 1764.
  8. Expression de Molière dans le Bourgeois gentilhomme, acte I, scène ii.
  9. C’est à Éphèse qu’est la scène d’Olympie ; c’est dans l’île de Reno qu’est celle du Triumvirat.