Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5456

Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 30-31).

5456. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].

Je présente encore à mes anges un exemplaire de la Tolérance, et je les supplie de le prêter à mon frère Damilaville. J’en ai fort peu d’exemplaires, et Paris n’en aura de longtemps. Je me flatte que M. le duc de Praslin et mes anges protégeront cet ouvrage. M. le duc de Choiseul me mande qu’il en est enchanté, ainsi que Mme de Grammont et Mme de Pompadour. Peut-être qu’un jour ce livre produira le bien dont il n’aura d’abord fait voir que le germe. L’approbation de mes anges et de leurs amis sera d’un grand poids. Je ne sais si je leur ai mandé que je connais des millionnaires[2] qui sont prêts à revenir avec leur argent, leur industrie, et leurs familles, pour peu que le gouvernement voulût avoir pour eux la même indulgence seulement que les catholiques obtiennent en Angleterre. Mais en France on entend toujours raison bien tard.

J’enverrai incessamment les Remarques sur l’Histoire générale à ce M. Hume[3], cousin de cet autre Hume, charmant auteur de l’Écossaise. Ce Hume me plaît d’autant plus qu’il a été qualifié d’athée dans le Journal encyclopédique. Je sens bien, mes anges, qu’il faut qu’un Français fasse les avances avec un Anglais ; ces messieurs doivent être fiers. Je ne fonde pas leur orgueil sur ce qu’ils nous ont pris le Canada, la Guadeloupe, Pondichéry. Gorée, et qu’avec environ dix mille hommes ils ont rendu les efforts des maisons d’Autriche et de Bourbon impuissants ; mais sur ce qu’ils disent, ce qu’ils pensent, et qu’ils l’impriment. Il est vrai que j’agis à peu près avec la même liberté qu’un Anglais, mais je ne fais qu’usurper le droit qu’ils ont, et partant je leur dois toute sorte de respect.

Permettez, mes anges, que je fourre ici pour frère Damilaville un paquet dans lequel il n’y a point de méprise.

Je me mets plus que jamais à l’ombre de vos ailes.

N. B. Il est bien vrai qu’on critiqua autrefois


Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains ;

(Mithridate, acte V, scène v.)


mais il est encore plus vrai que ce vers est admirable.

  1. Cette lettre doit être du 12 ou du 13 novembre.
  2. Protestants.
  3. David Hume.